Au FFM cette année, Marc-André Grondin sera en vedette dans pas moins de trois films français : Insoupçonnable, Le caméléon et Bus Palladium. L'acteur québécois le plus sollicité en France a, depuis, tourné deux autres films et se prépare à en tourner un nouveau avec Vanessa Paradis en février prochain. Portrait d'un enfant de la télé qui n'est jamais aussi heureux que sur un plateau de cinéma.

Marc-André Grondin a mis à peine quatre ans pour devenir un visage connu du cinéma français, un nom respecté de l'industrie et un jeune acteur furieusement prisé à Paris. De 2007 à aujourd'hui, les événements se sont bousculés: il a gagné le César du meilleur espoir masculin, a lu des centaines de scénarios, a reçu autant de propositions et a tourné dans une bonne dizaine de productions avec des acteurs de la trempe de Charles Berling et Gérard Depardieu.

Malgré cela, il n'a pas d'appartement à Paris. Le matin, quand il se réveille dans la Ville lumière, il ne lit pas Le Monde, mais Cyberpresse. Et le soir, quand il rentre d'un plateau dirigé par Rémi Bezançon, Christopher Thompson ou Gabriel Le Bomin, il télécharge sur son ordinateur des émissions québécoises. Cela n'empêche pas ce pure laine qui a grandi à Pointe-aux-Trembles et qui a fait ses classes dans les téléromans de Lise Payette de prendre un accent pur camembert dès qu'il pose le pied à l'aéroport Charles-de-Gaulle.

«À Paris, je ne peux pas me permettre de parler québécois, à moins, évidemment, qu'il y ait un Québécois dans la place. À ces moments-là, je me sens trop con de parler avec un accent pointu. Autrement, je n'ai pas le choix: je joue des rôles de Français et il faut absolument que je trouve ma musique à moi tout en gardant leur mélodie à eux. Mais ça ne me dérange pas parce que cette histoire d'accent, ce n'est pas juste un truc québécois. C'est aussi le lot de la plupart des acteurs britanniques ou australiens. Dès qu'ils tournent aux États-Unis, ils doivent mettre leur vrai accent au vestiaire», lance le comédien tout d'un trait.

Confortablement calé dans un divan douillet du St-James, arborant son éternelle casquette des Yankees et grignotant des carottes qu'il tire d'un petit sac en plastique, l'acteur de 26 ans arrive d'une séance d'entraînement à Brossard au Club Mansfield en vue d'un rôle de hockeyeur vedette dans The Goon de Michael Dowse, cinéaste de Calgary établi à Montréal et réalisateur du film culte et faux documentaire Fubar.

«J'ai deux mois pour gagner 20 livres de masse musculaire avant de partir tourner à Calgary, alors je m'entraîne tous les jours avec des joueurs de la Ligue américaine. C'est très intense, très dur physiquement, mais ça convient parfaitement à mon côté obsessif compulsif et ça me fait tripper.»

L'école du téléroman

L'acteur aime bien raconter, sourire en coin, que c'est en tournant une pub pour Minute Maid, à l'âge tendre de 3 ans, qu'il a eu une sorte de révélation divine qui l'a convaincu de devenir acteur. Deux ans plus tard, le fils cadet d'Huguette Laplante, aujourd'hui agente d'enfants comédiens et de l'animateur de radio Denis Grondin, faisait ses débuts dans Un signe de feu de Lise Payette.

«Je n'ai pas fait d'école de théâtre, raconte l'acteur. Mon école à moi, ç'a été 10 ans de téléromans. Tout ce que j'ai appris techniquement, je l'ai appris sur les plateaux de Radio-Canada. Et aujourd'hui, sur les plateaux français, les qualités qu'on me reconnaît découlent directement de l'écoute, de la souplesse et de la précision que j'ai apprises en tournant dans les téléromans. En France, j'ai l'impression que les gens du métier m'aiment parce que c'est facile de travailler avec moi. J'écoute et je fais pas chier.»

La technique est importante au cinéma, pas de doute là-dessus. Mais est-ce suffisant pour expliquer l'engouement dont Marc-André Grondin est l'objet dans le milieu du cinéma français? Probablement pas. Il y a la technique, mais il y a aussi le talent, le timing et la chance. À ce chapitre, Grondin a été choyé. Sa carrière au cinéma a débuté avec un rôle en or, le rôle de Zachary Beaulieu dans C.R.A.Z.Y., un film qui a fait le tour du monde et qui lui a valu le Jutra et le Génie 2006 du meilleur acteur. C.R.A.Z.Y. a ouvert bien des portes à Marc-André Grondin. Encore fallait-il qu'il ait envie de les franchir, lui qui avoue sans ambages que, s'il devait cesser de jouer demain matin, il n'en mourrait pas.

«Honnêtement, je ne ressens pas le besoin viscéral de jouer devant une caméra. Je veux dire que jouer, ce n'est pas TOUTE ma vie. En revanche, j'ai besoin d'être sur les plateaux. J'ai grandi avec ces familles éphémères que sont les équipes de tournage. Devant ou derrière la caméra, peu importe finalement, pourvu que je sois avec une équipe sur un plateau.»

American touch

Mais l'amour des plateaux n'explique pas tout et surtout pas pourquoi tant de metteurs en scène français veulent tourner avec ce Québécois. Alors que les jeunes acteurs nés en France ne manquent pas, pourquoi faire appel à un étranger qui ne partage pas les mêmes codes, la même culture, la même sensibilité ni le même accent?

Je pose la question à Marc-André Grondin en sachant très bien que ce n'est pas à lui d'y répondre. Il y a pourtant réfléchi et offre même un début de réponse.

«Ce que les cinéastes français voient en moi, je crois, c'est un Nord-Américain, adepte du «less is more». J'ai une énergie différente. Je suis plus calme, moins coq, mon débit est plus lent que celui de la moyenne des Français et, à leurs yeux, cela se traduit à l'écran par ce qu'ils nomment «présence» ou «charisme». En fait, ce qui les attire, c'est mon petit côté off et le fait que ce n'est pas quelque chose que je cultive, mais une partie intrinsèque de qui je suis.»

Dans Bus Palladium, premier film du scénariste Christopher Thompson qui prendra l'affiche chez nous le 3 septembre, Marc-André joue le rôle de Lucas, jeune Français déchiré entre l'architecture et le groupe rock qu'il a fondé avec un ami d'enfance. L'accueil critique fut tiède pour ce film misant sur de trop nombreux clichés mais élogieux pour le jeu de Marc-André. L'acteur reconnaît que, si le film avait été tourné au Québec, il aurait été mille fois plus rock.

«C'est sûr que les Français avec le rock, ils l'ont pas. À part un groupe comme Téléphone, il n'y a pas grand-chose. Et ce film-là, ce n'est pas Almost Famous ni même Control (le biopic sur Ian Curtis, légendaire leader de Joy Division). C'est un film sur deux amis d'enfance qui s'éloignent l'un de l'autre. L'histoire du groupe sert de toile de fond. Quant aux soi-disant clichés, je ne suis pas d'accord avec ce reproche, notamment parce que tout ce qui touche la vie du groupe et qui est relaté - les engueulades, les problèmes de filles, le chanteur qui est trop soûl pour chanter, l'autre qui se la pète -, il n'y a pas une de ces situations que je n'ai pas vécues dans la vraie vie avec les petits groupes dont j'ai fait partie.»

Dans une vie antérieure, Marc André Grondin a été batteur. Mais pour Bus Palladium, il a appris à jouer de la guitare ou du moins à mimer avec conviction un solo survolté. Il a continué d'apprendre en reprenant les chansons de son idole, Conor Oberst, leader du groupe Bright Eyes. Et puis il lui a fallu déposer la guitare et retourner sur les plateaux. Après Bus Palladium, Le caméléon et Insoupçonnable, Marc-André a enchaîné les tournages de Carjacking en Alsace avant de revenir au Québec tourner Les lignes ennemies, court métrage de Denis Côté, et de jouer le fils de Michel Barrette dans Le bonheur des autres. Cet automne, il jouera au hockey à Calgary avant d'aller rejoindre Vanessa Paradis dans Ma révolution, une comédie romantique noire.

Mais il persiste à dire que ce qui lui arrive est moins gros et glamour que les gens le croient. À preuve, même s'il est connu dans le milieu du cinéma français, personne ne le reconnaît dans le métro à Paris. Il ne s'en plaint pas. Au contraire. Il savoure ses derniers moments de liberté...