«On fonce vers le mur de brique à pleine vitesse!» David Takayoshi Suzuki, diraient les classiques, a le verbe haut, le ton de ceux qui sont habitués à être écoutés, dans la salle de classe ou de conférence. Ou d'entrevue, comme quand on l'a rencontré la semaine dernière dans les bureaux que sa fondation partage, rue Sainte-Catherine, avec Le Projet climatique d'Al Gore.

«On fonce vers le mur, mais on n'a pas le droit de dire qu'il est trop tard», reprend l'éminent homme de science, «homme d'espoir» aussi qui n'en a pas moins la responsabilité de répéter l'«avertissement». Jusqu'à ce qu'on ralentisse ou, mieux, qu'on change de direction dans la poursuite de nos conforts que les ressources de la planète ne pourront plus soutenir bien longtemps encore.

Ce warning, le militant écologiste (www.davidsuzuki.org) le sert depuis toujours sur de nombreuses tribunes - télévision, radio, conférences - auxquelles vient de s'ajouter le cinéma. Force of nature - The David Suzuki Movie, qui a pris l'affiche vendredi, conjugue l'histoire de l'homme et du scientifique, passe des croyances de l'un aux certitudes de l'autre.

L'idée du documentaire est venue au réalisateur Sturla Gunnarson quand il a assisté à la conférence-testament du grand Canadien, il y a deux ans à l'Université de la Colombie-Britannique, où le Dr Suzuki, spécialiste de la mouche à fruits (Drosophila melanogaster), a enseigné la génétique de 1963 à 2001. David Suzuki y donnait, à 73 ans, les idées-forces de sa vie et de sa carrière. Gunnarson a filmé Suzuki dans la nature et ajouté des images d'archives au commentaire: un film saisissant de signifiance et de beauté.

«L'attaque sur Pearl Harbor et ses répercussions ont été les grands déterminants de ma vie», dira ce Canadien de deuxième génération qui, à 6 ans, avec sa soeur jumelle, a suivi ses parents dans un des camps d'internement où les autorités canadiennes avaient placé tous les «Japonais» au début de 1942. Quand, après la guerre, ces mêmes Canadiens d'origine nipponne furent obligés de déménager à l'est des Rocheuses, la famille Suzuki s'en vint à London, en Ontario, là où le futur animateur de The Nature of Things (CBC) commença à s'intéresser aux «bibittes».

«Votre père, vous le dites dans le film, en a longtemps voulu à son pays, le Canada, pour cette injustice. Pour vous, comment ça s'est passé?

Mal, jusqu'à ce que ma femme me mette devant l'évidence - nous vivions alors aux États-Unis - que j'étais devenu raciste: je haïssais les Blancs. Mon ancienne collaboratrice, que je retrouve dans le film, n'aurait jamais pu m'accompagner dans ce restaurant il y a 40 ans, parce qu'elle était noire.»

Et David Suzuki de se dresser sur son siège: «Quand, en 1970, à Vancouver, je me suis élevé contre la Loi des mesures de guerre qu'on venait de promulguer ici, les gens là-bas m'ont dit: de quoi tu te mêles? Je dénonçais la même loi inique qui avait envoyé les Japonais du Canada dans des camps.»

Quand on abordera le thème du showmanship, David Suzuki corrigera vite en précisant, en français, qu'il est plutôt un «vulgarisateur», mot noble - il évoque Fernand Séguin, «le savant de Radio-Canada» - dont l'équivalent anglais est popularizer. Il est cela et il est aussi populaire: il a fini devant Wayne Gretzky (et Don Cherry) dans le scrutin des Grands Canadiens de la CBC en 2006.

Aujourd'hui, il continue de pourfendre les pêcheurs (japonais) qui pratiquent la surpêche du thon rouge et le géant Mitsubishi qui en a congelé des milliers en vue du jour (prochain) de l'extinction de l'espèce: «Des criminels!» Aussi dans sa ligne de mire: les sociétés de tabac, de pétrole et de produits chimiques qui montent des campagnes, sur le web surtout, pour se disculper en niant l'évidence scientifique qu'il se fait tard: «Des faux nez verts.»