La dernière visite du cinéaste Pierre Étaix à Montréal remontait à 1968. Il est de retour dans la métropole le temps d'un hommage au Festival du nouveau cinéma. Cette longue absence n'est pas unique. Car après une longue éclipse, ses films retrouvent le chemin des écrans.

Le burlesque, le rire, le slapstick ont marqué l'oeuvre cinématographique du cinéaste français Pierre Étaix. Jusqu'au jour où il tourne Pays de cocagne, un documentaire au lendemain duquel il est frappé d'ostracisme.

Et comme un malheur ne vient jamais seul, Pierre Étaix voit ses films peu à peu être retirés de la circulation en raison d'un imbroglio juridique. Durant près de 20 ans, ils ne sont plus projetés à l'écran.

D'autres auraient trop souffert de ces épreuves pour demeurer dans le métier. Pas lui. Certes, Pierre Étaix a souffert. Terriblement, dit-il. Mais il trouvé d'autres voies. Avec sa femme, Annie Fratellini, aujourd'hui décédée, il fonde l'École nationale du cirque de France. Il tient des rôles au cinéma et à la télévision, écrit pour le théâtre et réalise deux autres films... après avoir vu quatre projets avorter.

Le 2 novembre prochain, à trois semaines de son 82e anniversaire, il remontera sur les planches en Suisse pour un nouveau spectacle de music-hall.

«Tous les efforts que j'ai faits pour réaliser mes projets, ils sont oubliés. Je n'en garde que des souvenirs positifs, raconte M. Étaix en entrevue. Il faut toujours faire les choses que l'on aime car elles nous apportent une forme de rayonnement.»

Graphiste de formation, Pierre Étaix se tourne très jeune vers le comique. À Paris, il travaille dans les cabarets, les music-halls, le cirque. Au milieu des années 1950, il rencontre Jacques Tati qui lui propose de collaborer à l'un de ses films. «Trouvez-moi des gags», commande le célèbre cinéaste.

Au tournant de la décennie, Étaix et le scénariste Jean-Claude Carrière tournent un premier court métrage, puis un second, qui remporte un Oscar. Étaix enchaîne quelques longs métrages: Le soupirant, Yoyo, Tant qu'on a la santé, Le grand amour, des comédies où il tient la vedette.

Grand admirateur de Buster Keaton, Chaplin, Harry Langdon, Max Linder, M. Étaix trouve difficile de se définir comme cinéaste. «Je fais un métier rarissime, celui de faire des films qui s'appuient essentiellement sur le slapstick, finit-il par dire. Ils sont issus de la grande tradition clownesque. Or, durant 40 ans, personne n'a suivi cette voie. Jusqu'à Jacques Tati qui, lui, a apporté le son, un élément comique extraordinaire.»

Pays de cocagne

En 1971, avec son épouse, Pierre Étaix parcourt durant un été toute la France sur un podium, genre de scène itinérante. Il sort sa caméra et est stupéfait de «toute l'horreur engrangée» sur pellicule. Après maintes hésitations, il en tire un documentaire, Pays de cocagne, qui fait scandale.

«J'ai très mal vécu cette période, dit-il. C'était au lendemain de mai 1968 et la société de consommation était repartie à 100 à l'heure. Les gens envahissaient les terrains de camping. Ils étaient sur toutes les plages. La publicité était abusive. Tout cela était terriblement frustrant. Je croyais que les gens avaient réfléchi.»

Choqués, les administrateurs du podium menacent de l'empêcher de diffuser son film. Puis, ils conspirent en coulisse...

«Ça a été terrible, raconte-t-il. La presse entière a été achetée. J'ai été massacré de tous les bords. Le distributeur, qui promettait de me défendre, a retiré le film au bout de dix jours. Par la suite, aucun producteur n'a voulu travailler avec moi.»

D'aucuns lui ont dit que son humour suranné ne passait plus. Comme celui de l'Américain Jerry Lewis, un de ses grands amis. Puis, il y a eu cet imbroglio juridique, long épisode sur lequel M. Étaix n'aime pas revenir. Disons que, sur la bonne foi et la confiance, il a signé un contrat qui n'était pas à son avantage...

L'affaire s'est récemment réglée en cour. Le 7 juillet 2010, Pierre Étaix a récupéré tous ses droits sur ses films. Depuis, ils ont été restaurés et sont présentés dans les festivals. Pierre Étaix fait la preuve qu'il n'y a pas d'âge pour renaître.

Ses films sont présentés du 14 au 23 octobre au FNC. Ce soir, la projection des films Rupture et Le soupirant à la Cinémathèque québécoise sera suivie d'une rencontre avec le réalisateur.