C’était au deuxième ou troisième secondaire. En classe d’histoire du collège Saint-Alexandre à Limbourg, près de Gatineau. Philippe Falardeau se souvient du professeur Jacques Carbonneau qui s’est présenté avec un album d’Astérix en main.

«Il nous a montré à quel point la toile de fond de cette bande dessinée était documentée, raconte le cinéaste. On a tout de suite vu à quel point cela pouvait nous aider à mieux comprendre la matière. J’ai pu tout relire mes Astérix d’un œil différent, en me demandant qu’est-ce qui était lié à l’Histoire.»

Réalisateur du nouveau film Monsieur Lazhar qui raconte le récit d’un professeur immigrant (Fellag) chargé de prendre en main la classe d’une enseignante qui vient de s’enlever la vie, Philippe Falardeau est actuellement de passage au Festival international du film francophone (FIFF) de Namur.

En entrevue avec Cyberpresse, il prenait cet exemple pour expliquer à quel point le professeur et la classe sont importants pour l’épanouissement des jeunes et qu’ils sont vecteurs de choix importants. «Après ma rencontre avec ce professeur, j’ai toujours eu un respect fondamental pour eux. J’ai compris que l’on devient ce que l’on est parce que quelqu’un, quelque part, a allumé une étincelle en nous.»

«Le professeur est un personnage récurrent au cinéma, parce qu’il est riche, poursuit M. Falardeau. On en a des exemples d’Au revoir les enfants de Louis Malle jusqu’à Entre les murs de Laurent Cantet. Et la classe est un lieu universel. Surtout au primaire et au secondaire où à peu près tout le monde a mis les pieds.»

Cette universalité fait en sorte que dès le départ, le spectateur a un point d’entrée intime dans l’histoire, soutient le cinéaste. «Peu importe qui est ce professeur à l’écran, il va rappeler un ou plusieurs professeurs qui ont été marquants à chacun d’entre nous.»
À ses yeux, le professeur et la classe ne sont pas que sources d’apprentissage mais aussi d’éducation. «Le professeur passe plus de temps avec les élèves que les parents avec leurs enfants, rappelle M. Falardeau. Il est non seulement en position de transmettre un savoir mais d’éduquer. Et l’enfant passe tellement de temps dans la classe que c’est aussi là qu’il va apprendre à vivre, à lier des amitiés, à discuter de sujets parfois tabous.»
Être professeur, c’est poser un acte de résistance, enchaîne le cinéaste. «C’est un métier dur et sous-payé en grande majorité pratiqué par des femmes. En cela, mon film est avant tout une ode aux enseignants et enseignantes.»

Un tourbillon nommé Oscar

Cela dit, Philippe Falardeau est maintenant engagé dans le tourbillon de la course à l’Oscar du meilleur film étranger puisque c’est Monsieur Lazhar qui représente le Canada dans cette catégorie.

Rappelant que le processus n’en est qu’à ses débuts (il y a deux éliminations avant de se retrouver sur la liste des finalistes), Philippe Falardeau a, lui aussi, posé à sa façon, un acte de résistance en apprenant la nouvelle.

«Lorsque je l’ai su, j’étais au Festival de Halifax, dit-il. Toute la journée, j’ai répondu à des téléphones dans ma chambre. Mais dès le lendemain, je me suis remis au travail, c’est-à-dire au scénario de mon prochain film. Je veux rester 'grounder' à quelque chose de plus palpable. Dès que j’ai le temps, j’essaie d’y travailler.»

Il sourit lorsque Cyberpresse lui demande s’il a parlé avec le réalisateur Denis Villeneuve, finaliste dans la même catégorie avec Incendies l’an dernier.

«En fait, nous sommes allés luncher ensemble avant l’annonce. Denis m’a raconté comment ça c’était passé pour lui et j’étais déjà effrayé, répond-il toujours avec le sourire. Lorsque Monsieur Lazhar a été choisi, Denis m’a envoyé un texto en me taquinant sur le fait que je venais de mettre le doigt dans un long et épuisant engrenage. Ma stratégie est donc de me concentrer sur l’écriture.»

Il faut dire aussi que M. Falardeau bénéficie de l’expérience acquise par le producteur micro_scope qui était aussi derrière Incendies l’an dernier.

Comédie politique, le prochain film de Philippe Falardeau sera vraisemblablement tourné en Abitibi (qui ne sera pas nommée pour éviter les archétypes) et prendra tout le monde pour cible: les politiciens, les médias mais aussi les citoyens qui se désengagent et lui-même. «Je me vois mal faire de la critique sociale sans rire de moi aussi! Mais nous en sommes seulement au début, avertit le cinéaste. Normalement, je mets trois ans à faire un film. J’en suis à la première version alors qu’habituellement, j’en écrit de neuf à douze!»

Les frais de ce reportage ont été payés par le FIFF.