Ça gronde sur la gauche! Que ce soit en Grèce, dans les pays arabes ou dans Wall Street, la colère des petites gens rime avec un principe fédérateur: une recherche d’égalité.

Ce qu’on voit dans la rue s’exprime aussi au cinéma. Après République: un abécédaire populaire d’Hugo Latulippe, un autre film, Surviving Progress (Survivre au progrès), de Mathieu Roy et Harold Crooks, nous sert un avertissement: le progrès risque de couler la civilisation.

Que se passe-t-il donc sur la gauche? demande-t-on au cinéaste Mathieu Roy, coréalisateur du film Survivre au progrès avec Harold Crooks.


«Il y a un réveil, répond-il avec enthousiasme. Durant le tournage du film, je me disais que, si les gens savaient vraiment ce qui s’est passé aux États-Unis durant la crise, ils sortiraient dans la rue. Cela a pris un peu de temps, mais ils le font là! C’est fantastique. Ces gens incarnent l’espoir. Leur geste dit tellement de choses! Aux politiciens de se réveiller, d’aller leur parler et les écouter. Les demandes sont diffuses. Le défi est de les regrouper et de faire en sorte que les gens aillent tous dans la même direction.»



Le défi est aussi de mettre le holà à la surconsommation, martèle le film. Tourné aux quatre coins de la planète, donnant la parole à de nombreux activistes, spécialistes et désabusés du système capitaliste tel qu’il est, Survivre au progrès pose le diagnostic suivant: la pression incessante en faveur d’une croissance effrénée de la consommation risque d’entraîner la planète dans l’abîme.



Mathieu Roy s’inquiète ouvertement des marasmes que pourrait entraîner ce qu’il appelle une «pathologie idéologique».



«Dans le film, nous évoquons ce concept de pathologie idéologique propre aux civilisations qui se sont effondrées par le passé parce que leurs dirigeants, leurs élites, ont été aveuglés par de fausses idéologies. Or, aujourd’hui, nos élites adhèrent à cette croyance au progrès, au néo-libéralisme économique, à cette croissance à tout prix. Et ça, c’est une illusion! C’est une pathologie idéologique.»



Comme un doctorat



Survivre au progrès est inspiré du livre A Short History Of Progress de Ronald Wright. Qu’on soit d’accord ou non avec son propos, force est de constater que celui-ci n’a pas été tourné avec trois bouts de ficelle ni à la va-vite.



Parallèlement à d’autres projets, Mathieu Roy et Harold Crooks ont mis six ans et demi à le faire. «Je n’aurais pas pu réaliser ce film sans Harold, dit M. Roy. Moi, j’étais le chef de l’image, du son et du montage, mais on a travaillé tout le contenu ensemble. Il avait une expertise que je n’avais pas. Il a suggéré des noms de personnes à interviewer. Et le fait de travailler à deux permettait un débat et une remise en question qui nous ont permis d’évacuer les fausses bonnes idées.»



«À chacune des étapes, nous avons défini les questions, choisi les participants, nous avons fait les entrevues ensemble, dit Harold Crooks, scénariste et réalisateur bien connu au Canada anglais pour son documentaire The Corporation. Mathieu a apporté l’expérience cinématographique. Pour lui, ça devait être une expérience de cinéma. Il ne voulait pas faire de narration ou avoir une voix hors champ. Pour moi, qui suis habitué à cette formule, c’était un grand défi de faire un film de 86 minutes sur un tel sujet tout en faisant bien passer le message.»



Mathieu Roy estime que ce «plongeon dans l’Histoire, le futur et le présent», ce travail émaillé de milliers d’heures de lectures, de recherche et d’entrevues sont «l’équivalent de faire un doctorat».



Il croit que ses prochains films vont profiter de cette longue quête. «Je pense que je comprends beaucoup mieux les nuances, les paradoxes et les mécanismes de notre monde», dit-il.



Quant à son rapport au contenu de son film, Mathieu Roy se dit optimiste malgré tout. «Je suis un optimiste, mais je suis lassé par l’arrogance des pouvoirs. Mais je n’abandonnerai pas, avertit-il. L’humanité est trop magnifique pour l’abandonner. Dans le film, on dit que l’expérience de la civilisation doit survivre. J’y crois. On a fait de magnifiques choses comme la culture, la musique. Le problème est que seule une petite portion de l’humanité en profite. On doit partager cette expérience même si la tâche est lourde. Il faut être conscients de notre chance.»

 

________________________________________



Surviving Progress sort en salle le 4 novembre.