Vingt-deux ans après Attache-moi! , Antonio Banderas retrouve Pedro Almodovar, le réalisateur qui l’a mis au monde. L’événement comporte autant de ramifications professionnelles que personnelles.

Il en aura fallu du temps. Antonio Banderas aura mis plus de 20 années de carrière hollywoodienne avant d’aller enfin retrouver en Espagne le cinéaste qui l’a révélé au monde dans les années 80. Les admirateurs du cinéma de Pedro Almodovar ne croyaient pratiquement plus à cette rencontre tant les deux hommes semblaient désormais évoluer sur deux planètes différentes.

Il leur aura fallu La piel que habito, l’adaptation cinématographique du roman de Thierry Jonquet Mygale. Dans ce drame très noir, l’acteur prête ses traits à un éminent chirurgien esthétique, spécialisé dans la création d’une nouvelle peau humaine depuis que sa femme a subi de graves brûlures dans un accident de voiture. Pour perfectionner sa technique, il trouve un cobaye en la personne d’un jeune homme qu’il soupçonne d’avoir violé sa fille.

D’évidence, l’œuvre du chantre de la Movida n’avait jamais exploré des zones aussi sombres.

«Revenir vers Pedro à cette étape de ma carrière et de ma vie, c’est comme trouver une oasis dans un désert ! a déclaré l’acteur lors du Festival de Toronto. Il m’avait parlé de son projet avant même de commencer à écrire l’adaptation du roman. Il m’a fait parvenir son scénario. Je suis toujours très attentif quand je lis un script la première fois. Je sais que cette lecture constituera l’unique occasion pour moi d’être le spectateur de l’histoire dans laquelle je vais jouer. J’ai été littéralement subjugué par ce que Pedro a écrit. Le style narratif, la façon avec laquelle il met tout en place, tout dans ce scénario relève du grand art !»

Une continuité
Quand il évoque le lien qu’il entretient avec l’auteur cinéaste, Banderas préfère évoquer la continuité d’une histoire commune plutôt qu’une interruption.

«Peu de choses ont changé, explique-t-il. Nous avons tout de suite retrouvé nos marques, notre complicité, notre façon de nous comprendre sans avoir à se parler. Son approche est aujourd’hui plus austère, je dirais. Moi qui ai connu les années de flamboyance, je constate qu’il tend aujourd’hui vers le dépouillement. Sur le plateau, je lui ai même dit qu’il devenait Japonais ! Avec la maturité, Pedro devient plus sérieux, plus complexe. Ce que je sais, c’est que notre relation fonctionne. Pour tout dire, je ne tente pas de rationaliser pourquoi elle fonctionne.»

L’acteur ne voit pas en La peau que j’habite une histoire de vengeance. Plutôt l’appel d’un homme qui croit être investi d’une mission. Et cherche un prétexte pour mener ses expériences.

«Pedro te force à réfléchir sur ce qu’est la création, fait-il. Et tu constates que celle-ci n’est possible que dans un espace où la complaisance n’existe pas. C’est comme un vertige, un sacrifice. Tu deviens très vulnérable, mais Pedro t’incite à aller visiter ces zones-là. À sa demande, j’ai travaillé à l’intériorité et à l’économie du personnage. Il m’a entraîné sur un terrain que je ne connaissais pas. Ce chirurgien ne ressent pas la douleur des autres. Il est incapable d’empathie. Il est d’une froideur absolue. L’idée n’était pas d’horrifier avec des images, mais de faire ressentir le malaise qui s’installe progressivement.»

Un esprit de troupe
Avec Carmen Maura, Cecilia Roth et quelques autres, Antonio Banderas a fait partie de la «bande à Almodovar». Groupe coloré qui, au lendemain de la dictature franquiste, a pris d’assaut la scène culturelle espagnole pour en faire exploser les tabous. C’était l’époque du Labyrinthe des passions, Matador, La loi du désir.

«Il régnait un esprit de troupe à l’époque, rappelle l’acteur. C’était au début des années 80. Les jeunes pouvaient alors se permettre de croire en eux-mêmes. J’étais le plus "ordinaire" du groupe, disons. Quand on arrivait quelque part, on se faisait un devoir de se faire remarquer. Je me souviens de la première de Labyrinthe des passions au Festival de San Sebastian. Menés par Pedro, on s’est installés dans la salle et on riait de nos propres blagues plus fort que tout le monde. Pour certains, le film revêtait un caractère si choquant qu’ils ne pouvaient faire autrement que de nous insulter pendant la projection! D’une certaine façon, nous en étions fiers, car cela indiquait que le miroir que nous tendions était annonciateur de profonds changements dans la société espagnole.»

Ces retrouvailles actuelles avec Almodovar sont évidemment très significatives pour Antonio Banderas. Elles lui permettent de renouer avec la langue de Cervantès au cinéma.

«Quand tu joues dans une langue étrangère, tu n’as pas le même rapport émotif avec les mots. Pour moi, dire Te quiero est beaucoup plus chargé que de dire I Love You. Mais au-delà de la langue, le fait de revenir dans mon pays après 20 ans, avec ses misères et ses grandeurs, retrouver mes racines, ma langue, j’ai le sentiment d’être revenu chez moi. Pedro a fait mon éducation artistique. C’est grâce à lui que j’ai pu faire carrière.»

La piel que habito (La peau que j’habite en version française) prend l’affiche vendredi prochain.