Après 12 ans d’absence, le cinéaste britannique Terence Davies revient à la réalisation en portant à l’écran une œuvre de son compatriote Terence Rattigan. Rachel Weisz en est la vedette.

Terence Davies vit dans son monde. Un monde dont l’essence relève d’une époque révolue, celle de son enfance. Ses films les plus marquants, Distant Voices, Still Lives et The Long Day Closes portent les stigmates élégants d’une vie difficile dans les quartiers ouvriers anglais.

« Je n’ai aucune nostalgie de cette époque déclare l’auteur cinéaste lors d’un entretien téléphonique. Mais un créateur est plus enclin à évoquer ce qu’il connaît dans ses œuvres. C’est du moins ce qui arrive dans mon cas. J’ai grandi à Liverpool au cours des années 50. Ça marque. Il n’y a plus aucun point de comparaison entre la société d’aujourd’hui et celle d’il y a 60 ans. »

The Deep Blue Sea, qu’il nous offre 12 ans après The House of Mirth, est une adaptation cinématographique d’une pièce de Terence Rattigan. Campée dans les années 50, l’intrigue relate le parcours d’une jeune femme (Rachel Weisz), mariée à un juge haut placé de plusieurs années son aîné, qui s’engage dans une liaison extraconjugale avec un ancien pilote de l’armée.

« Une histoire comme celle-là peut sembler banale aujourd’hui, fait remarquer Terence Davies. Mais à l’époque, une femme devait avoir un cran du diable pour suivre son cœur et ses désirs plutôt que sa raison. C’est ce qui m’a particulièrement ému dans cette œuvre. On m’a offert de porter à l’écran n’importe laquelle des pièces de Rattigan – il célébrait son 100e anniversaire de naissance l’an dernier – et j’ai rapidement fixé mon choix sur The Deep Blue Sea. Nous sommes tous confrontés parfois à des émotions irrationnelles et il me pressait d’explorer ces sentiments mystérieux. »

Une inconnue nommée Rachel Weisz

Alors qu’il cherchait une actrice pour incarner son héroïne, Terence Davies est tombé un soir par hasard sur un film diffusé à la télévision. Il s’agissait de Swept by The Sea, un drame romantique d’époque tourné en 1997 par Beeban Kidron, dans lequel Rachel Weisz donnait la réplique à Vincent Perez et Ian Mckellen.

« J’ai été complètement subjugué par cette jeune femme, par ce qui se dégageait d’elle, raconte l’auteur cinéaste. Comme je ne vais pratiquement jamais au cinéma et que je ne suis pas très à jour, j’ai relevé le nom de l’actrice dans le générique et j’ai téléphoné à mon agent pour lui demander s’il avait déjà entendu parler de Rachel Weisz. Évidemment, il est parti à rire. Il m’a dit que je devais bien être le seul cinéaste au monde à ne pas la connaître. Il m’a aussi appris qu’elle avait déjà gagné un Oscar. Vous dire comment je suis déconnecté ! »

Rachel Weisz n’était pas très familière avec l’œuvre de Terence Davies non plus. Mais elle fut séduite par le personnage, de même que par la manière très particulière qu’emprunte le cinéaste pour élaborer sa narration. Il mise en outre beaucoup sur l’intériorité pour faire vibrer ses personnages à l’écran.

« Mes films évoluent selon leur propre rythme, indique-t-il. Et ils sont intrinsèquement anglais. Je m’étonne toujours qu’ils atteignent un certain public, même confidentiel. Et je m’étonne d’autant plus quand ils se retrouvent sur le circuit des festivals ou distribués à l’étranger. Je m’étonne de bien des choses, vous savez ! »

Terence Davies attribue d’ailleurs son absence des écrans au caractère plus marginal de ses films.

« Pour les cinéastes britanniques qui ne veulent pas obligatoirement travailler dans un système hollywoodien, les temps sont très durs. On vous donnera de l’argent plus qu’il n’en faut si vous vous lancez dans le projet d’un film d’époque à l’anglaise. Parce que vous aurez alors de fortes chances de séduire les Américains. Mais à l’extérieur de ce créneau-là, point de salut. Personnellement, j’ai quand même réalisé un documentaire dont je suis très fier au cours de la dernière décennie. Of Time and the City était un essai biographique sur Liverpool, ma ville natale. Voyez ? On ne se remet jamais de son enfance ! »

The Deep Blue Sea prend l’affiche vendredi en version originale anglaise.