Quatre ans après l’onde de choc créée par la parution du livre de Vanessa Springora, où l’auteure dépeignait l’emprise qu’a exercée sur elle l’écrivain Gabriel Matzneff lorsqu’elle était mineure, Le consentement, long métrage de Vanessa Filho mettant en vedette Kim Higelin, prendra sous peu l’affiche au Québec.

En France, lors de sa deuxième semaine en salle, Le consentement a vu son nombre d’entrées augmenter de 40 %. Ce succès inespéré pour ce film ayant attiré moins de 60 000 spectateurs à sa sortie en octobre est lié à un phénomène devenu viral sur TikTok. Ainsi des adolescents publiaient des vidéos d’eux-mêmes avant et après avoir vu le long métrage de Vanessa Filho (Gueule d’ange), d’après le livre-choc de Vanessa Springora paru chez Grasset en 2020.

« Pour nous, c’était tellement important et essentiel de prolonger le débat initié par le livre », confie la réalisatrice rencontrée en janvier aux Rendez-vous d’Unifrance à Paris. « Évidemment, il y avait aussi le souhait à travers cette transposition de permettre à un public plus large, et peut-être moins lecteur, de connaître cette histoire. Il y a eu beaucoup de débats et de rencontres à travers la France ; à la suite des projections, des adolescents de 14, 15 et 16 ans se sont empressés d’aller acheter le livre. Moi, je trouve ça formidable. »

« Après ce film, on se rend compte que la libération de la parole est quasi immédiate. Vanessa a réussi à susciter chez les spectateurs un sentiment d’identification tellement fort que soudainement, il y a cette prise de conscience que ce qu’on a vécu était de l’emprise, un abus, ou que c’est ce qu’on est en train de vivre. Ce film peut donc faire œuvre de prévention et nous faire voir le monde un peu différemment. Avec Vanessa, on reçoit beaucoup de messages sur les réseaux sociaux qui sont bouleversants de vérité, de courage et de force », ajoute l’actrice Kim Higelin.

Le courage de Denise Bombardier

Sorti au début de 2020, le livre de Vanessa Springora a fait couler beaucoup d’encre en France, mais aussi au Québec. De fait, l’auteure y abordait la célèbre confrontation entre Gabriel Matzneff et Denise Bombardier à l’émission littéraire Apostrophes. En 1990, ce passage chez Bernard Pivot avait valu une pluie d’insultes à la regrettée femme de lettres.

Voyez un extrait de l’émission Apostrophes

« Rétrospectivement, je m’aperçois du courage qu’il a fallu à cette auteure canadienne pour s’insurger, seule, contre la complaisance de toute une époque. Aujourd’hui, le temps a fait son œuvre et cet extrait d’Apostrophes est devenu ce qu’on appelle, pour le meilleur et pour le pire, un “moment” de télévision », écrivait Vanessa Springora dans Le consentement. Un moment que Vanessa Filho a tenu à montrer dans son film.

PHOTO EMMA MCINTYRE, GETTY IMAGES, FOURNIE PAR L'AGENCE FRANCE-PRESSE

La réalisatrice Vanessa Filho, en 2019

On voulait vraiment rendre hommage au courage de cette femme [Denise Bombardier]. C’est pour ça qu’on s’est battus pour obtenir cette archive et l’utiliser dans le film. Au moment où on allait l’inviter à voir le film, on était tellement tristes d’apprendre qu’elle était décédée.

Vanessa Filho, réalisatrice

Dans la peau d’une ado

Lors de sa rencontre avec Gabriel Matzneff, 50 ans, Vanessa Springora n’avait que 13 ans. Aux côtés de Jean-Paul Rouve, 57 ans, qui incarne le prédateur, c’est Kim Higelin, 21 ans au moment du tournage, qui prête ses traits à la jeune victime. Afin de se préparer pour le rôle, l’actrice a lu à plusieurs reprises Le consentement et écouté les nombreuses entrevues que l’auteure avait accordées à la radio et à la télévision. Bien qu’elle ait passé beaucoup de temps avec elle, Kim Higelin, par pudeur, n’a jamais voulu lui poser de questions sur sa relation avec celui que protégeait le milieu littéraire.

« J’avais ce désir de ne pas l’imiter, explique la petite-fille de Jacques Higelin. J’avais quand même énormément de clés puisque j’avais son récit et le merveilleux scénario de Vanessa Filho. Je savais qu’un travail immense avait été fait, que le scénario était d’une justesse et d’une vérité par rapport à ce que Vanessa Springora avait vécu. Je pouvais donc me reposer uniquement sur ça pour réussir à construire le personnage. Il y a aussi eu une partie d’imaginaire pour créer une démarche, un corps, évidemment en suivant à la lettre toutes les indications émotionnelles et de mise en scène de Vanessa. »

Se sentant pleinement en confiance avec la cinéaste, partageant avec elle « le même langage émotionnel », Kim Higelin a demandé l’autorisation qu’elle intervienne également à titre de coach d’intimité pour les scènes à caractère sexuel entre l’adolescente et l’auteur quinquagénaire.

Vanessa a une bienveillance qui est inouïe et du coup, je me sentais constamment dans un sentiment de sécurité absolue. Cela permettait aussi une justesse, c’est-à-dire que la chorégraphie était précise, chaque plan était millimétré, donc il n’y avait absolument pas de liberté de mouvement.

Kim Higelin, actrice

« Pour moi, c’était salvateur et ça m’a vraiment permis de me sentir complètement à l’aise dans ces scènes qui peuvent paraître très intimidantes et qui, soudainement, ne l’étaient plus puisque Vanessa nous accompagnait. »

PHOTO FOURNIE PAR AXIA FILMS

Jean-Paul Rouve dans Le consentement, de Vanessa Filho

Contrairement au livre de Vanessa Springora, narré à la première personne, dans l’adaptation de Vanessa Filho, la voix de Gabriel Matzneff s’impose durant une grande partie du film. Afin de mettre à jour les mécanismes de la pensée de l’auteur de Mes amours décomposés : journal 1983-1984 (Gallimard, 1990) et d’aider Jean-Paul Rouve à mettre au monde son personnage, la réalisatrice, qui ne connaissait pas son œuvre, a dû plonger dans ses romans, essais et carnets.

« Même les livres interdits, souligne-t-elle. Je me suis rendu compte qu’il avait plusieurs styles et que ce n’était pas du tout un grand écrivain, mais véritablement un suiveur. Ce qui est extrêmement choquant, c’est qu’il a vraiment bâti sa réputation sur le scandale et sur ses journaux intimes, qui n’étaient vraiment pas du tout intéressants, sauf parfois pour quelques pensées et une utilisation du verbe. Ce n’est sans cesse que des répétitions, on dirait les journaux d’un adulescent. C’est d’un narcissisme terrible ! En fait, Gabriel Matzneff s’est créé un personnage de fiction dont il s’est servi pour détruire les autres en manipulant les mots. »

Les frais de déplacement et d’hébergement pour ce reportage ont été payés par Unifrance.

En salle le 23 février