Sur papier, Au lendemain de l’odyssée traite de migration et d’esclavage sexuel, bref, de vies rêvées brisées. Mais au-delà du récit de cette innommable traite humaine, entre le Nigeria et l’Italie en passant par la Libye, la cinéaste québécoise Helen Doyle raconte surtout une histoire d’accueil, de résilience et de franche sororité. En un mot : une histoire d’« accueillance ».

Cela fait plus de 40 ans qu’Helen Doyle documente la « condition féminine » (« et plein d’autres sujets ! »), et son dernier long métrage, d’une étonnante douceur malgré la violence du sujet et des destins, en dit long sur la cinéaste, qui braque résolument sa caméra sur la lumière, et ce, malgré l’« horreur » derrière.

« Cinquante ans, ma chère ! », nous corrige gentiment la réalisatrice, pionnière du documentaire au féminin, qui a cofondé avec Hélène Roy et Nicole Giguère, en 1973, le collectif Vidéo femmes. Avis aux intéressés : la Cinémathèque québécoise vient justement de publier un grand dossier thématique sur les 20 premières années du collectif.

Lisez le dossier ici 

Comment diable Helen Doyle est-elle tombée sur ce sujet, certes niché, quoique furieusement d’actualité ? En fait, explique-t-elle, c’est à la suite de son précédent film (Dans un océan d’images, qui lui a valu le prix du meilleur film canadien au Festival international du film sur l’art de Montréal en 2013, ainsi qu’un prix Gémeaux pour le meilleur documentaire l’année suivante) qu’elle a fait une rencontre marquante en Italie, avec la photographe Letizia Battaglia (morte en 2022), photojournaliste bien connue pour son travail sur la mafia. C’est aussi à cette époque qu’elle a pris conscience du nombre « affolant » de jeunes migrants non accompagnés là-bas. « Des jeunes garçons, de plus en plus jeunes », qui fuient et traversent la Méditerranée sans parents. C’est aussi là qu’elle s’est posé la question : « Mais... où sont les filles ? »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Helen Doyle

D’où l’enquête, pardon, la « quête » pour creuser ce véritable réseau « immensément orchestré » qui embobine les jeunes filles du Nigeria, à coups de promesses d’une vie meilleure ailleurs, sa découverte de leurs durs lendemains de veille par la Libye avant de débarquer en Italie, souvent brisées, et solidement endettées.

Il faut entendre, dans le film, une intervenante expliquer qu’on leur demande effectivement de rembourser le voyage, une facture qui peut grimper à 50 000 euros. Comment payent-elles ? En se vendant : 5 euros, soit le prix d’un café. « Ça fait mal, hein ? », tressaille Helen Doyle en se racontant.

J’étais horrifiée. Alors je me suis dit : je ne peux pas me taire. Je dois creuser la situation en Italie.

Helen Doyle, cinéaste

Mais Au lendemain de l’odyssée n’est pas un film sur cette « traite », on l’a dit. Encore moins sur cette mafia. « C’est plutôt un film sur les Italiennes, et la société civile qui se mobilise. C’est un film sur la solidarité » ou l’« accueillance », comme l’a si joliment qualifié son aide-réalisatrice, en Sicile. « La bienveillance, la sororité, presque tout de suite, je me suis dit : c’est là que je vais », confirme Helen Doyle. Pourquoi ? « Parce que je ne peux pas faire un film sans espérance, répond-elle. Ça ne sert à rien de faire un film juste dark. »

Approche pudique

C’est ainsi que la cinéaste tend ici le micro à quantité de femmes, des chercheuses, des travailleuses humanitaires, même des artistes ou des journalistes, qui accompagnent à leur manière ces Nigérianes, en plus, bien sûr, de suivre plusieurs migrantes, même leurs filles. On ne vous dira pas tout, mais plusieurs parcours sont poignants. « On les sauve et elles nous sauvent », dira d’ailleurs une travailleuse humanitaire. « Ces femmes ont beaucoup à nous apporter, renchérit la cinéaste. Ce sont des femmes qui se sont remises sur pied ! »

Faire ce trajet à 14 ans, vivre l’horreur, sortir de là, et avoir encore des rêves, c’est une leçon de vie, ça !

Helen Doyle, cinéaste

« Et ça donne confiance : si on leur donne juste un peu de chance, qu’est-ce qu’elles vont pouvoir apporter à la société ? »

À noter que jamais les « accueillantes » ne demandent ici de reconnaissance. « C’est l’être humain en face d’elles qui les intéresse, souligne Helen Doyle. C’est l’altérité, la rencontre avec l’autre dans toute sa différence. »

Pour emballer le tout, la cinéaste adopte une approche pudique plus impressionniste qu’explicite, laissant une grande place aux images de la mer et au bruit des vagues, notamment. On voit aussi à plusieurs reprises des prises du fameux Radeau de Lampedusa, œuvre engagée du sculpteur Jason deCaires Taylor, dédiée à la crise des migrants en Europe. « Ça dit tout, laisse tomber Helen Doyle. Et je ne voulais pas que ce soit sensationnaliste, précise-t-elle. Les rendre victimes, ce n’est pas les aider ! »

Son souhait ? « J’espère que va avoir lieu une discussion sur la violence faite aux femmes, bien sûr, mais aussi sur cette traite qui existe encore aujourd’hui, un esclavage sexuel dans nos pays. J’espère qu’on va avoir une discussion sur l’attitude de l’“accueillance” et de l’altérité. Je pose des questions parce qu’on doit réfléchir tous ensemble, et de part et d’autre, conclut-elle. Comment on les accueille ? »

En salle dès vendredi. Marina Orsini animera une discussion à la première du film, le 9 février à 19 h au Cinéma du Musée.

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