S’inspirant de la prémisse de L’affaire de Buenos Aires, classique du cinéma argentin de 1949, Rodrigo Moreno livre dans Les délinquants une réflexion sur le temps en suivant les tribulations de deux employés de banque ayant dérobé une forte somme à leur employeur dans l’espoir d’une vie meilleure.

Figurant sur la liste des 100 meilleurs films argentins de tous les temps, L’affaire de Buenos Aires (1949), de Hugo Fregonese, met en scène un joueur endetté qui commet une malversation dans l’entreprise où il travaille puis qui cache le magot qu’il compte retrouver après sa sortie de prison. Film soumis par l’Argentine pour concourir dans la catégorie du Meilleur film en langue étrangère aux Oscars, Les délinquants (Los delincuentes), de Rodrigo Moreno (El custudio, primé à Berlin en 2006), s’éloigne de son modèle.

« Le film original a peu à voir avec le mien, confirme le cinéaste, joint par visioconférence lors de son passage au Festival du film de New York. Dans le premier, il n’y avait que Morán qui voulait prendre l’argent de son employeur pour devenir millionnaire, ce qui est assez naïf. Je me suis amusé à former et à déformer le début du récit, à m’approprier son sujet afin de l’amener sur mon territoire, vers ma génération, vers mes obsessions. »

Mon film raconte une fable. Je ne suis pas du tout dans le réalisme. Outre la fable, je m’intéresse au langage cinématographique et non à la réalité.

Rodrigo Moreno

Dans la mouture de 2023, Morán (Daniel Eliás), employé dans une banque, vole une forte somme d’argent qu’il confie ensuite à son collègue Román (Esteban Bigliardi) en lui expliquant qu’ils partageront le butin après avoir passé trois ans derrière les barreaux. Avant de se rendre aux forces policières, Morán croisera la route de Norma (Margarita Molfino), Morna (Cecilia Rainero) et Ramón (Javier Zoro), lecteur des aventures du superhéros Namor, avec qui il coulera quelques heures tranquilles à la campagne. Plus tard, ce sera au tour de Román de goûter brièvement au train de vie paisible des trois amis.

« Les anagrammes, ça a commencé comme un jeu. Je me suis amusé à créer les noms des personnages à partir de celui de Morán. Plus tard, je me suis rendu compte que ces anagrammes apportaient un sens au film. Je me retrouvais avec deux personnages qui devenaient plus ou moins des miroirs avec le même destin, avec des éléments similaires, mais organisés dans un ordre différent. »

Lorsque Morán arrive en prison, on remarque que Germán De Silva, qui incarne le gérant de banque Del Toro, prête aussi ses traits au chef de bande Garrincha : « Tout le long du film, je joue avec le double, les écrans divisés, les scènes similaires. En ayant un acteur dans un double emploi, je mets aussi l’accent sur cette impression de duplicité. Même si la comparaison est inévitable, je ne voulais pas que ce soit aussi littéral que ça, mais quand on visite une prison, on a l’impression d’être dans la chambre forte d’une banque tant il y a de portes et de barreaux. »

« Un film sur l’emploi du temps »

Souhaitant fuir leur travail routinier et leur existence monotone à Buenos Aires en profitant des 650 000 dollars dérobés par Morán, les deux confrères découvrent qu’à l’instar de leurs nouveaux amis qui vivent dans la plus grande liberté en plein air, ils désirent passer leurs journées à lire de la poésie, à se baigner dans un lac et à faire de l’équitation.

PHOTO FOURNIE PAR MÉTROPOLE FILMS

Scène des Délinquants

« Dans mes films précédents, je traite de la tension entre les loisirs et le travail, entre l’emploi du temps et le manque de temps, explique le réalisateur. Les délinquants est un film sur l’emploi du temps. »

Évidemment, j’y parle aussi de liberté. Or, la liberté est un concept général qui peut avoir une signification abstraite, qui peut avoir plusieurs sens. Dans ce cas-ci, il s’agit du besoin de ne jamais manquer de temps pour soi.

Rodrigo Moreno

D’une durée de plus de trois heures, d’un rythme très lent, Les délinquants s’éloigne du film de casse traditionnel aux multiples intrigues complexes et trépidantes. Contemplative, à la fois poétique et ludique, cette déroutante comédie dramatique fait tour à tour rêver et sourire.

« Ce que j’avais vraiment envie de faire avec le film, c’était donner un sentiment de bonheur aux spectateurs, un aspect lumineux à leur vie parce que la plupart des films que nous donne le cinéma contemporain sont tellement sombres, tellement cruels, que je trouve que c’est bien d’offrir quelque chose qui soit différent. Je déteste quand un cinéaste fait montre de cruauté envers les spectateurs. Je ne trouve pas ça juste », conclut Rodrigo Moreno.

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