Dans Les jours heureux, de Chloé Robichaud, drame campé dans l’univers de la musique classique, Sophie Desmarais incarne une cheffe d’orchestre prisonnière d’une relation toxique avec son père, un pervers narcissique incarné par Sylvain Marcel.

Lorsque Sylvain Marcel a rencontré Chloé Robichaud, qui lui offrait de jouer Patrick, père et agent d’Emma, rôle défendu par Sophie Desmarais, dans Les jours heureux, il lui a dit d’emblée : « C’est à moi, ça. » Las d’être cantonné depuis quelques années dans les rôles de bons gars, l’acteur souhaitait ardemment ajouter ce rôle à sa feuille de route. Même si cela exigeait qu’il replonge dans des zones d’ombre.

« Mon père était un Maurice, comme le père de Patrick, alcoolique et violent, raconte Sylvain Marcel. C’est pour ça que quand j’ai vu Chloé, je lui ai dit que je connaissais ce genre de personnes là et ce qu’elles sont capables de faire. J’ai tout simplement reproduit un peu ce que j’avais vu dans ma vie. Moi aussi, j’ai dû me battre avec cette violence pour ne pas la faire subir à mes fils. Je ne consomme plus depuis 14 ans, je suis vraiment un homme différent. À l’époque, je devais parfois partir pendant des jours pour étouffer cette violence que j’avais vécue. »

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Sylvain Marcel dans Les jours heureux

« Avec Sylvain, tout de suite, ç’a été clair qu’il apportait la dimension que Chloé cherchait pour le rôle du père, c’est-à-dire le charisme, le sourire, se souvient Sophie Desmarais. Sur papier, Patrick est un personnage qui peut avoir l’air du méchant du film, mais il ne fallait pas qu’il soit joué de cette façon-là. On a tout de suite eu un plaisir à jouer ensemble et à se relancer. Rapidement, avec Sylvain, on était très soudés, dans la drôlerie pour se sentir en confiance au moment de jouer des scènes d’une grande intensité, difficiles à faire. J’en avais besoin pour ne pas me sentir écorchée. »

De l’extérieur, Patrick semble le père idéal. Il a toujours été présent pour sa fille, a payé ses études, gère sa carrière et veille à ce qu’elle puisse réaliser son rêve de diriger un orchestre. Il est également son critique le plus sévère, exigeant d’elle qu’elle répète inlassablement au piano Pelléas et Mélisande de Schönberg – une idée de l’actrice qui a joué Mélisande au TNM – sous prétexte qu’il ne sent pas la colère qu’elle couve en elle. Plus tard, il la jugera trop immature pour s’attaquer à l’œuvre de Mahler.

« Patrick a froidement investi dans la carrière de sa fille, explique Sylvain Marcel. Il n’a pas fait ça gratuitement ; il fallait que ça rapporte, mais pas nécessairement financièrement. C’est quelqu’un qui vient d’un milieu modeste et violent, qui se dit qu’il ne répétera pas l’histoire avec sa fille, mais il le fait psychologiquement. Évidemment, il fait ce qu’on appelle de la projection, il veut qu’elle réussisse là où il a échoué. C’est un être excessivement égocentrique, un pervers narcissique, un control freak fini, et le génie de Chloé, c’est de m’amener à faire sentir que derrière ce personnage-là, on sent comme une souffrance ou une faiblesse. Ce qui donne sa couleur au personnage de Patrick. »

Paroles et musique

Si Emma n’a jamais manqué de rien, dès la première scène des Jours heureux, on découvre qu’elle est tout de même un peu passée à côté de son enfance, puisque son père n’a jamais pris le temps de lui apprendre à nager comme les autres enfants.

« Non seulement elle ne sait pas nager, mais elle ne sait pas conduire, fait remarquer Sophie Desmarais. C’est tout le temps son père qui la conduit partout ; elle est comme prisonnière d’un manque d’autonomie. Quand on la voit dans son condo, on comprend qu’elle ne cuisine pas, sauf quand sa mère, Maude Guérin, est là. C’est clairement quelqu’un qui est dans sa tête, dans sa musique, dans son sérieux, qui est barouettée de tous les bords dans ses relations. »

De fait, la relation amoureuse qu’elle vit avec Naëlle (Nour Belkhiria), violoncelliste de l’orchestre, n’est pas non plus de tout repos. Emma veut s’imposer dans la vie de Naëlle, qui n’est pas prête à annoncer cette liaison à sa famille ni à son ex, le père de son fils. À l’instar de Patrick à son endroit, Emma se montre odieuse à l’égard de Naëlle, n’hésitant pas à lui faire du chantage émotif.

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Nour Belkhiria et Sophie Desmarais dans Les jours heureux

« C’est un personnage qui est profondément seul, qui essaie vraiment de connecter avec les autres, pense Sophie Desmarais. Avec ses amis, elle y arrive très peu ; il y a juste avec le jeune fils de Naëlle qu’elle arrive à être elle-même. Ce que je trouvais intéressant dans les dialogues de Chloé, dans les relations des personnages, c’est le ratage dans la communion. Le but d’un chef d’orchestre, c’est de communier avec les autres par la musique. Plus Emma apprend à se libérer dans sa vie personnelle, plus comme artiste elle est capable de connecter à une certaine intensité, à une authenticité, à ses véritables gestes qui lui permettent de communiquer par la musique. »

« Patrick étouffe sa fille, il lui a transmis cette coupure d’émotion, affirme Sylvain Marcel. La musique est un personnage dans le film. On le voit dans ces pièces où elle est coupée de ses émotions ; le chef d’orchestre qui est joué par Vincent Leclerc lui dit qu’on ne sent pas sa rage quand elle dirige Schönberg. Sans le savoir, sans le vouloir, Patrick va affranchir un peu sa fille pour finalement la libérer. »

« Ce qui me touche beaucoup dans ce que Chloé a écrit, c’est que la passation de la violence va avoir une fin. Avec ce qui se passe vers la fin du film, je trouve qu’il y a un espoir de se choisir, de se reconnecter à qui on est en ayant conscience du bagage qu’on a, en faisant des choix qui sont appropriés pour soi et non pas être sous l’emprise des traumas intérieurs qui nous rongent », conclut Sophie Desmarais.

En salle ce vendredi