De Jacques et novembre jusqu’à La Bolduc en passant par des films comme Histoires d’hiver et Paul à Québec, François Bouvier a toujours posé sur ses sujets un regard sensible. Pour La cordonnière, son huitième long métrage, celui qui réalise aussi beaucoup de séries à la télévision porte au grand écran la vie de Victoire Du Sault, la cordonnière à qui la célèbre famille Dufresne doit l’origine de sa fortune. Entretien.

Comment en êtes-vous venu à tirer un long métrage de la série de romans que l’autrice Pauline Gill a consacrée à la famille Dufresne, célèbre en outre grâce au château qui porte son nom dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal ? Et plus particulièrement à l’histoire de Victoire Du Sault ?

Tout s’est fait très simplement, car le scénario de Sylvain Guy était déjà écrit quand on m’a fait cette proposition. À la lecture, j’ai été complètement séduit par l’histoire de cette femme. Ce n’est pas tant l’aspect historique qui m’intéressait, mais plutôt l’histoire d’amour qu’elle a vécue en secret, à travers un désir silencieux parce qu’il ne devait pas paraître aux yeux des autres. C’est à la fois passionné, dérangeant, troublant, et très souffrant. Et comme mon plus grand plaisir est de travailler avec des acteurs, je savais qu’avec ce scénario, il y avait une très belle matière.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

François Bouvier a porté à l’écran le scénario qu’a écrit Sylvain Guy en adaptant la série de romans La cordonnière, de Pauline Gill.

Vous avez déjà travaillé avec Rose-Marie Perreault à l’époque de la série Ruptures, ainsi que sur La Bolduc, où elle jouait la fille aînée de Mary Travers. Avec La cordonnière, vous lui offrez son premier rôle principal au cinéma. Vous avez aussi choisi Élise Guilbault pour incarner le même personnage à un âge plus mûr. Comment ce choix s’est-il fait ?

Quand j’ai lu le scénario, j’en étais à peine à la deuxième page que je commençais déjà à voir Rose-Marie dans le rôle de Victoire. Et comme le scénario est écrit de telle sorte que la narration est faite par Victoire à 60 ans, j’ai aussi commencé à voir et à entendre Élise. À mes yeux, ces deux actrices sont dans des classes à part.

Si vous deviez trouver un point commun entre elles, quel serait-il ?

Leur économie dans le jeu. Et leur intériorité. C’est d’une puissance extraordinaire, autant chez l’une que chez l’autre. On peut tourner une scène où tous les autres personnages parlent autour et pourtant, on ne voit qu’elles tellement leur silence est éloquent. Tout tient dans leur regard.

La cordonnière est un drame biographique à caractère historique, comme l’était La Bolduc, votre film précédent. Y a-t-il un défi particulier à relever quand on s’attaque à ce genre de production au Québec ?

Le plaisir qu’on prend à faire un film d’époque a principalement lieu pendant la préparation, parce que c’est à cette étape qu’on apprend plein de choses. Cela dit, une fois que tout ça est bien établi et qu’arrivent les jours de tournage, je me concentre sur les acteurs et je ne vois pratiquement plus les décors. Dans tous mes films, le travail avec les acteurs a toujours été ma préoccupation principale. Le reste, ce sont pour moi des détails techniques qui servent à appuyer le jeu des comédiens.

Jacques et novembre, votre premier long métrage (coréalisé avec Jean Beaudry), aura bientôt 40 ans…

Oh my God !

Est-ce que le plaisir de faire du cinéma est toujours le même ?

Le plaisir est le même, mais je dirais que les conditions deviennent de plus en plus exigeantes à cause des budgets qui, souvent, nous obligent à réduire le nombre de journées de tournage. On en vient à développer des habiletés et à trouver des solutions par la force des choses, d’autant que je travaille aussi sur des séries télé, où il faut travailler rapidement. Pour La cordonnière, nous avons disposé d’un bon budget – plus de six millions de dollars –, mais il a quand même fallu retrancher une trentaine de scènes. C’est évidemment douloureux sur le coup, mais une fois que le film est fait, je mets tout ça de côté parce que je trouve qu’à l’arrivée, on a tous bien fait notre travail. On peut être satisfaits, fiers, et avoir le sentiment d’avoir donné notre pleine mesure.

Vos deux plus récents longs métrages, La Bolduc et La cordonnière, sont consacrés à deux pionnières du Québec qui, chacune à sa façon, ont fracassé un plafond de verre. Peut-on dire que vous êtes un cinéaste féministe ?

On est un cinéaste féministe si on est aussi féministe dans la vie. Et je suis sensible aux préoccupations des femmes. Le fait est que l’histoire de ces grandes femmes qui ont construit le Québec en traçant le chemin pour les autres générations est peu connue. À part la série de romans de Pauline Gill, la vie de Victoire Du Sault est très peu documentée. Il y a pourtant tant d’histoires de femmes à raconter.

La cordonnière est actuellement à l’affiche.