Après avoir joué plusieurs variations de héros romantiques et ténébreux, Louis Garrel s’est écrit un film complètement ludique, dont le point de départ est très librement inspiré de sa propre histoire familiale. En satisfaisant ses envies de cinéaste, l’acteur s’est offert du même coup l’un de ses plus grands plaisirs de comédien. Entretien.

Louis Garrel est issu d’une famille d’artistes. Son grand-père, Maurice, a promené sa dégaine singulière au cinéma et au théâtre pendant plus de cinq décennies. Son père, Philippe, est un cinéaste prolifique, dont les films font les beaux jours du circuit festivalier (Le grand chariot, dans lequel Louis joue avec ses sœurs Esther et Lena, a obtenu le prix de la mise en scène à Berlin le mois dernier). Sa mère, Brigitte Sy, est aussi actrice et cinéaste. Et même s’il entretient secrètement le rêve de mettre en scène, peut-être un jour, un opéra, La Tosca surtout, Louis Garrel consacre toutes ses énergies au cinéma, celui des autres autant que le sien.

Révélé sur la scène internationale il y a 20 ans grâce à The Dreamers, de Bernardo Bertolucci, Louis Garrel en est aujourd’hui à son quatrième long métrage à titre de cinéaste. Cité 11 fois à la récente cérémonie des Césars du cinéma français, L’innocent, qui a valu à ses auteurs le César du meilleur scénario et à Noémie Merlant le trophée remis à la meilleure actrice dans un second rôle, est une comédie au centre de laquelle figure un lien indéfectible liant une mère et son fils, peu importe les circonstances.

« Même s’il comporte des moments plus dramatiques, L’innocent a été pensé avant tout comme un film de divertissement », explique Louis Garrel au cours d’un entretien téléphonique.

Le point de départ est un peu autobiographique, mais il était très agréable pour moi d’en sortir rapidement et de faire du roman avec tout ça. Je voulais que le public s’attache aux personnages et participe à l’action. Pour cela, il fallait sauter dans la fiction et inventer des situations rocambolesques.

Louis Garrel

Une histoire folle

Un peu comme le personnage de mère qu’incarne – avec brio – la trop rare Anouk Grinberg dans le long métrage, la mère du cinéaste s’est véritablement mariée dans une prison – elle y animait des ateliers de jeu – avec un détenu dont elle est tombée amoureuse. Là s’arrêtent toutefois les similitudes entre la vie et la fiction. En compagnie des coscénaristes Tanguy Viel et Naïla Guiguet, Louis Garrel, qui tient aussi dans son film le rôle du fils, a imaginé une histoire complètement folle, où ce dernier commence à épier les moindres faits et gestes du nouvel amoureux (Roschdy Zem) de sa mère, dont il doute des sentiments.

« J’avais ce projet depuis un bon moment, mais même si nous empruntions à des genres très connus du public, il a fallu tout réinventer. Le scénario a été assez long à écrire, car ma préoccupation était de proposer un film qui n’avait pas déjà été fait. »

PHOTO PATRICIA DE MELO MOREIRA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

L’innocent a été présenté hors concours au Festival de Cannes l’an dernier. Louis Garrel a foulé le tapis rouge en compagnie de son équipe.

Louis Garrel, dont l’image a souvent été associée à celle d’un héros romantique et ténébreux dans différents univers, qu’il s’agisse de ceux de Christophe Honoré, Bertrand Bonello, Valeria Bruni Tedeschi, Maïwenn, Arnaud Desplechin ou celui de son père Philippe, saute cette fois à pieds joints dans une franche comédie, un genre dont il affirme avoir eu « un peu peur » au fil des ans.

« Je ne sais pas trop de quoi j’avais peur au juste – la perception d’un genre pas assez noble, peut-être –, mais le fait est que plein de choses contradictoires ont fait en sorte que le public s’est fait une certaine image de moi. La manière dont vous êtes révélé devient alors votre réputation. Et la mienne était celle d’un jeune premier tourmenté. Probablement à cause des boucles ! »

Un film de variétés

Aussi qualifie-t-il L’innocent de « film de variétés », catégorie destinée à rejoindre le plus vaste public, au même sens qu’un spectacle de variétés comporte sa bonne part de chansons populaires. Pour accompagner son récit, Louis Garrel n’a d’ailleurs pas hésité à choisir des tubes du passé qu’on peut entendre sur les radios nostalgie, de Pour le plaisir d’Herbert Léonard à Nuit magique de Catherine Lara…

C’est qu’il y a le jeu dans le jeu aussi. Comme il y a beaucoup de chansons tirées de la variété française, je disais à tout le monde qu’il fallait refléter cet esprit dans le film, car il regroupe plein de genres populaires au cinéma. Il y a de la comédie, de l’action, du polar, de la romance. Il fallait donc prendre le sens de la variété au premier degré, comme le fait une chanson.

Louis Garrel

Ayant commencé à jouer dès l’enfance dans les films de son père (il avait 6 ans quand il a tenu son premier rôle dans Les baisers de secours), l’acteur a également eu envie très jeune de passer derrière la caméra.

PHOTO FOURNIE PAR MAISON 4:3

Anouk Grinberg a été citée aux Césars dans la catégorie de la meilleure actrice dans un second rôle grâce à sa performance dans L’innocent, un film de Louis Garrel.

« Au Conservatoire, j’ai compris très vite que le regard d’un autre sur ce qu’on fait est important. J’adore jouer, mais j’aime bien être également celui qui regarde la scène et qui a accès à des solutions que l’acteur ne peut pas voir lui-même tout de suite en jouant. J’avais eu envie à l’époque de mettre en scène Haute surveillance, de Jean Genet, mais j’ai trop eu le trac. »

Je n’ai jamais osé faire de mise en scène au théâtre. Je rêve pourtant en secret de pouvoir monter un jour un opéra !

Louis Garrel

Toujours surprenant

Et comment explique-t-il le succès public et critique qu’a obtenu L’innocent en France après avoir été lancé hors concours au Festival de Cannes ?

« François Truffaut, mon idole, disait qu’on ne maîtrise pas l’adéquation d’un sujet avec les envies du public. Évidemment, je suis ravi de ce succès, mais c’est toujours un peu surprenant quand ça arrive. Je crois que ça tient à la rencontre entre les acteurs. Anouk Grinberg et Roschdy Zem sont touchants ensemble. Noémie [Merlant] est formidable. Quant à moi, je n’avais pas eu l’impression de jouer un personnage aussi bien défini dans mes trois autres films précédents. L’innocent est à la fois un hommage au métier d’acteur et un écho à la fascination qu’il exerce. »

L’innocent prendra l’affiche le 24 mars.