(Paris) Au moment où le droit à l’avortement est aujourd’hui remis en question par des mouvements ultraconservateurs dans divers pays arrive Annie Colère. Ce long métrage de Blandine Lenoir rappelle les luttes qu’ont dû mener les femmes pour sortir l’interruption volontaire de grossesse de l’illégalité dans les années 1970. Laure Calamy s’y est investie de tout son être.

Le récit d’Annie Colère se déroule une dizaine d’années après celui de L’événement, ce livre d’Annie Ernaux qu’Audrey Diwan a brillamment porté à l’écran. Quand elle a présenté son projet aux financiers, Blandine Lenoir (Aurore) s’est fait répondre exactement la même chose que sa collègue, à savoir que la question du droit à l’avortement était réglée et qu’il était inutile de revenir en arrière. Autrement dit, on se questionnait sur la pertinence de raconter aujourd’hui les actions d’un mouvement ayant mené le gouvernement français à dépénaliser l’avortement en 1975, grâce à la fameuse loi Veil.

« Au moment où nous avons commencé à penser à ce film, le droit à l’avortement n’était pas menacé comme il l’est maintenant », fait remarquer la cinéaste au cours d’une interview accordée à La Presse dans le cadre des Rendez-vous du cinéma français d’Unifrance. « Il a fallu que je leur explique qu’en France, ça se tend aussi beaucoup à ce sujet, même si nous n’en sommes pas encore au retrait de ce droit comme dans certains États américains. Cette histoire est un peu complémentaire à celle de L’événement, dans la mesure où c’est à cause de ce qui s’est passé à l’époque d’Annie Ernaux, au début des années 1960, que le mouvement militant que nous évoquons dans notre film a été créé. »

Un combat militant

Dans Annie Colère, Laure Calamy prête ses traits à une ouvrière, déjà mère de deux enfants, qui tombe accidentellement enceinte. En cette année 1974, Annie rencontre des militantes du MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception), au sein duquel on pratique des avortements – illégaux – en toute sécurité aux yeux de tous, dans une optique de bienveillance et d’aide concrète aux femmes. Annie sera tellement enchantée – et bouleversée – par son expérience qu’elle trouvera un nouveau sens à sa vie en se joignant à ce groupe dont l’existence n’a duré que 18 mois.

PHOTO FOURNIE PAR AXIA FILMS

Yannick Choirat et Laure Calamy dans Annie Colère, un film de Blandine Lenoir

« En jouant ce personnage, j’avais l’impression de raconter une histoire importante, confie Laure Calamy, également présente lors de cette rencontre. Ma mère m’avait déjà parlé vaguement de ce mouvement, sans entrer dans les détails. Elle disait cependant comment tout ce débat l’avait choquée. Si la pression des femmes n’avait pas été aussi forte à l’époque, je crois que les membres du gouvernement n’auraient jamais fait passer la loi Veil d’eux-mêmes. J’ai en tout cas été heureuse d’avoir eu l’occasion d’approfondir cette partie importante de l’histoire des femmes en France, aujourd’hui oubliée. »

Un rôle sur mesure

Déjà lauréate du César de la meilleure actrice grâce à sa performance dans Antoinette dans les Cévennes (Caroline Vignal), de nouveau en lice avec À plein temps, du Québécois Éric Gravel, Laure Calamy, pour une rare fois, a pu suivre l’évolution d’un long métrage depuis l’étape de l’écriture. Blandine Lenoir, avec qui l’actrice a déjà tourné deux fois (Zouzou et L’Amérique de la femme), a en effet écrit le rôle d’Annie spécifiquement pour celle qui fut révélée au grand public grâce à la série Dix pour cent (Appelez mon agent).

« Je crois qu’avec ce personnage très réservé, très timide, qui prend progressivement sa place, Blandine a voulu mettre en lumière un côté de moi que je ne donne pas du tout à voir dans la vie, indique Laure Calamy. Ça n’est pas dans ma nature d’être aussi réservée. J’ai même parfois eu l’impression d’être insuffisante. Je suis habituellement rassurée à l’idée de pouvoir sortir des choses à travers un personnage, de les extérioriser. On peut moins se débarrasser de ses angoisses à travers un personnage introverti. Cela dit, j’ai beaucoup aimé être dans l’observation. Cette femme regarde ce qui se passe tout autour, comme une spectatrice. »

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Laure Calamy dans Annie Colère, un film de Blandine Lenoir

Dans ses premières versions, le scénario, très documenté, mettait principalement l’accent sur les activités du MLAC avec les réunions, les prises de parole, les actions politiques. Peu à peu, l’intrigue s’est tournée vers des aspects plus intimes de la vie d’une mère de famille, bien appuyée par son mari (mais jusqu’où ?), qui découvre la solidarité et le militantisme auprès d’autres femmes.

« Pour moi, c’était passionnant de voir comment le scénario a évolué et s’est construit, affirme Laure Calamy. Cette histoire est traversée par la notion de soulagement et se révèle très lumineuse. Chaque femme est filmée de très près et existe très fort, ne serait-ce qu’un instant. C’est vraiment très beau. Bien que ça n’ait rien à voir, je vois un point commun avec le cinéma de Pasolini, avec ces plans sur des visages, où chacun existe dans toute sa beauté et toute sa lumière. »

Hommage à Delphine Seyrig

Blandine Lenoir a par ailleurs tenu à insérer dans son film une véritable scène d’archives, tirée d’une émission d’affaires publiques diffusée à l’époque. On y voit la regrettée Delphine Seyrig tailler en pièces les arguments d’hommes qui, assis en face d’elle, s’opposent vigoureusement à la légalisation de l’avortement.

« J’ai voulu lui rendre hommage, car elle a joué un rôle décisif dans cette lutte, explique la cinéaste. Delphine Seyrig a aussi payé très cher son engagement dans le combat féministe. Plus elle s’est impliquée, moins elle fut engagée comme actrice. Je l’ai toujours admirée. J’aurais tellement aimé la rencontrer ! »

Annie Colère prend l’affiche le 10 février.

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.