Finaliste aux Oscars dans la catégorie du meilleur film international, gagnant du Grand Prix du Festival de Cannes l’an dernier, ce deuxième long métrage de Lukas Dhont suscite une vive émotion partout où il passe. Rencontre avec un cinéaste qui, à l’âge adulte, doit se défaire de l’armure qu’il s’est construite à l’adolescence.

À l’époque où il a grandi dans un village situé près de Gand, Lukas Dhont a vite réalisé que sa façon d’être n’intégrait pas du tout les codes de virilité attendus, auxquels répondaient pourtant la plupart des garçons de son âge. Consacrant alors toute sa passion à la danse, un art qui, encore aujourd’hui, est celui qui le touche le plus, le préadolescent a pourtant arrêté brusquement, du jour au lendemain, d’exercer ses entrechats.

« J’avais 12 ans, rappelle le cinéaste belge au cours d’un entretien accordé à La Presse lors du passage de ce dernier au festival Cinemania de Montréal. Je me suis rendu compte que ma manière de danser, la manière de me comporter, était considérée comme étant très féminine, au point où ça pouvait gêner des personnes autour de moi. Je n’ai pas eu le courage de m’en foutre et j’ai abandonné la danse. J’ai essayé d’être comme les autres garçons et j’ai commencé à les imiter. J’en étais très malheureux. »

Un retour aux sources

Cet épisode de sa vie lui a inspiré le scénario de Close. Après Girl, qui l’a révélé et lui a valu la Caméra d’or du Festival de Cannes en 2018, Lukas Dhont a ressenti le besoin de retourner dans son patelin pour se ressourcer. Sa grand-mère, anciennement enseignante à l’école primaire qu’il a fréquentée, y habitant toujours, il a eu droit à un beau comité d’accueil. Cela dit, ce retour aux origines a ramené le cinéaste, aujourd’hui jeune trentenaire, dans ses douloureux souvenirs d’enfant mal dans sa peau.

PHOTO KRIS DEWITTE, FOURNIE PAR SPHÈRE FILMS

Scène tirée de Close, deuxième long métrage de Lukas Dhont

« Parallèlement, je suis tombé sur Deep Secrets, un livre écrit par la psychologue américaine Niobe Way, ajoute-t-il. Dans cet ouvrage, elle suit une centaine de jeunes garçons sur une période de cinq ans, de 13 à 18 ans, et leur fait parler de leurs amitiés masculines. Il émane beaucoup de tendresse et d’amour de leurs témoignages au début, mais tout ce vocabulaire disparaît dès que ces garçons vieillissent. À la lecture de leurs témoignages, j’ai constaté ne pas avoir été le seul à vivre dans ma jeunesse cette perte d’intimité et de langage émotionnel. J’ai compris que cette tristesse personnelle traduisait en fait une blessure universelle. »

Le regard des autres

Close relate ainsi le parcours de deux préadolescents inséparables : Léo (Eden Dambrine) et Rémi (Gustav De Waele). Intégrés dans les deux familles (Léa Drucker joue la mère de l’un, Émilie Dequenne la mère de l’autre), les deux garçons s’échangent des gestes d’affection le plus naturellement du monde.

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Eden Dambrine et Émilie Dequenne dans Close

Leur amitié bascule cependant le jour où ils se mettent à fréquenter la même école, alors qu’ils se retrouvent soumis au regard des autres pour la première fois. Rémi s’en fout ; pas Léo. Ce dernier commence même à prendre ses distances et se met à faire des activités plus « viriles ». De son côté, Rémi ne comprend pas la raison de cet éloignement soudain et en souffre. À travers leur histoire, Lukas Dhont illustre les effets que peuvent avoir les pressions sociales sur des individus dont la nature et le comportement n’entrent pas tout à fait dans les « normes ».

Il y a dans la société le poids d’un code déjà bien établi autour de la notion de virilité et il existe tout un vocabulaire qui l’accompagne. Nous sommes beaucoup plus habitués à voir des images de guerre et de violence que des images de tendresse, de sensualité et d’intimité entre deux garçons.

Lukas Dhont, cinéaste

« Nous sommes aussi conditionnés à regarder immédiatement cette sensualité comme relevant d’un désir sexuel, ce qui n’est pas forcément le cas », ajoute-t-il.

Une étiquette queer

Même s’il fut lui-même victime du regard des autres dans sa jeunesse, Lukas Dhont assume aujourd’hui parfaitement son identité queer. Il revendique également l’étiquette queer accolée à ses longs métrages, bien qu’ils ratissent plus large.

« On a tendance à tout catégoriser, fait-il remarquer. Je n’ai aucun problème à assumer l’aspect queer de mes films ni mon identité, parce que j’en suis fier. Mais les thèmes que j’aborde peuvent toucher tout le monde. Le plus beau compliment qu’on m’a fait à propos de Girl [sur la vie d’une jeune danseuse trans] m’est venu d’un homme âgé cisgenre, 80 ans peut-être, qui m’a dit beaucoup se reconnaître dans le personnage de Lara [Victor Polster], parce qu’il avait eu lui-même, au même âge, une relation compliquée avec son corps. J’ai trouvé ça très beau. Dans un monde où tout est divisé, il est bon de se libérer des étiquettes. »

Le cinéaste a aussi choisi d’exercer un métier où il s’expose constamment au regard extérieur. Les deux longs métrages qu’il a écrits et réalisés jusqu’à maintenant ont su émouvoir tous les publics partout dans le monde. Juste retour des choses pour un jeune homme qui, il y a 20 ans à peine, a dû abandonner ce qu’il aimait le plus au monde – la danse – pour se souscrire à l’image qu’il projetait sur les autres.

« Je peux aujourd’hui être ce que je suis et m’exprimer de façon beaucoup plus authentique, confie-t-il. Pendant longtemps, je me suis construit une armure dont je dois maintenant me défaire en tant qu’adulte, ce qui n’est pas un mince boulot. J’y arrive progressivement, de façon à être plus fidèle à ce que je suis. Cela dit, quand on met un film au monde, il faut travailler avec le regard des autres et s’en faire un allié. Parce que mon cinéma est avant tout destiné au public. »

Close prendra l’affiche le 3 février.