Le réalisateur d’American Beauty n’avait jamais rencontré Olivia Colman avant de penser à elle pour incarner un personnage librement inspiré de sa mère. L’actrice ne s’est pas fait prier, trouvant en Empire of Light une partition différente à jouer. Rencontre.

Olivia Colman s’étonne encore en évoquant le jour où, en pleine pandémie, son agent l’a avisée que Sam Mendes, un cinéaste qu’elle admire, mais qu’elle n’avait jamais rencontré, souhaitait la joindre sur Zoom.

« Nous avons parlé de tout et de rien, et rien du film n’a vraiment été expliqué, confie l’actrice à La Presse au cours d’un entretien en visioconférence, en compagnie du cinéaste. Sam m’a simplement dit qu’il écrivait quelque chose et qu’il pensait à moi. Et j’ai dit : Oh ! How Lovely ! Même si c’est tout ce que je savais, j’ai dit oui. Ça ressemblait un peu à un pari, mais quand j’ai pu lire le scénario que Sam m’a fait parvenir plus tard, j’ai vraiment été soulagée. Je n’avais encore jamais joué ce genre de personnage, ça m’a rendue un peu nerveuse, mais j’estime que c’est un bon sentiment ! »

Empire of Light est le premier scénario que Sam Mendes a écrit entièrement seul. Quand il a sollicité une rencontre auprès d’Olivia Colman, l’une des actrices les plus primées de la dernière décennie (Oscar grâce à The Favourite ; Emmy grâce à la série The Crown, entre autres), le cinéaste était un peu atteint du syndrome de la page blanche.

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Micheal Ward, Sam Mendes et Olivia Colman sur le plateau d’Empire of Light

« J’en étais rendu à la première moitié du scénario et j’étais un peu coincé dans mon écriture, explique-t-il. Je connaissais Olivia seulement de loin, mais je me suis mis à voir son visage sur le personnage. Je me suis alors aperçu que j’étais en train d’écrire pour une actrice que je n’avais jamais rencontrée de ma vie, ce qui est un peu étrange. C’est pour ça que j’ai voulu lui parler. Son enthousiasme m’a inspiré pour la suite. »

Un lien familial

Empire of Light n’a pas du tout l’ampleur des grandes productions qu’il a réalisées au cours de la dernière décennie (on lui doit notamment deux James Bond : Skyfall et Spectre), mais Sam Mendes établit quand même un lien entre sa nouvelle offrande et le drame de guerre 1917. Ces deux films puisent à même son histoire familiale.

« 1917 était inspiré de l’histoire de mon grand-père, mais je m’étais quand même fait aider pour l’écriture [Krysty Wilson-Cairns a cosigné le scénario]. Celui-ci provient d’un pan de mon enfance et de mon adolescence, vécue auprès d’une mère aux prises avec un trouble bipolaire.

Empire of Light est sans doute mon film le plus personnel, mais je ne voulais pas en faire une histoire purement autobiographique non plus. Je ne voulais pas devenir moi-même un personnage.

Sam Mendes

Campé dans une petite ville côtière du sud de l’Angleterre au début des années 1980, le récit d’Empire of Light est construit autour d’Hilary (Olivia Colman), une femme au mi-temps de l’âge, directrice des opérations du grand cinéma de l’endroit. Coincée dans une relation abusive du patron (Colin Firth), cette dernière se laisse séduire par un nouvel employé (Micheal Ward, vu dans Lovers Rock de Steve McQueen) qui, lui, subit de la discrimination alors que le racisme ambiant devient de plus en plus décomplexé. À cette histoire abordant la bipolarité dont Hilary est atteinte s’ajoute ainsi un portrait social dessiné à partir de la salle de cinéma.

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Colin Firth, Micheal Ward, Toby Jones, Tanya Moodie, Olivia Colman et Sam Mendes lors de la première d’Empire of Light, tenue à Los Angeles le 1er décembre

« La pandémie nous a tous forcés à confronter nos souvenirs, souligne Sam Mendes. Rappelez-vous qu’à un certain moment, quand il n’existait pas encore de vaccin, nous n’étions plus du tout certains de la survie même du cinéma en salle. »

Mais je dirais qu’il y a surtout, au cœur de ce film, le thème de la maladie mentale. Encore aujourd’hui, les préjugés qui l’entourent sont très grands et il faut en parler. J’ai essayé d’évoquer dans une trame dramatique quelque chose de très difficile à expliquer.

Sam Mendes

Une résonance émotionnelle

L’autre axe du récit évoque un temps, pas si lointain, où la diffusion du cinéma en salle était très différente de celle d’aujourd’hui (on évoque notamment une grande première régionale de Chariots of Fire). Et les effets que pouvait avoir un long métrage dans la vie de quelqu’un.

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Micheal Ward et Olivia Colman dans Empire of Light, un film de Sam Mendes

« Quand j’étais adolescente, Jean de Florette et Manon des Sources [Claude Berri], que j’ai vus à l’époque, ont eu une très forte résonance émotionnelle en moi, indique Olivia Colman. Ils restent deux de mes films favoris encore aujourd’hui ! »

La vocation d’actrice d’Olivia Colman est pourtant née un peu plus tard, à la faveur d’une pièce jouée à l’école à l’âge de 16 ans, où on lui avait confié le rôle principal de The Prime of Miss Jean Brodie, une pièce de Jay Presson Allen (adaptée aussi au cinéma en 1969 par Ronald Neame).

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Olivia Colman lors de la première du film Empire of Light, à Los Angeles le 1er décembre.

« Pour la première fois de ma vie, j’ai alors senti que j’étais à ma place en faisant quelque chose que j’aimais. J’étais médiocre à l’école parce que tout m’ennuyait, mais là, je pouvais enfin me concentrer sur quelque chose où je sentais le plaisir de travailler. »

« Je ne savais pas si une carrière était envisageable, car je présumais qu’il fallait d’abord provenir d’une famille artistique pour entrer dans ce monde. Mais j’ai fini par rencontrer des gens qui m’ont convaincue de ma capacité à devenir ce que je voulais dans la vie. Et j’ai dit : Oh my God, je veux être actrice ! Ça a changé ma vie. Je sentais que j’avais peut-être un certain talent, mais, étant anglaise, je n’avais pas le droit de le dire très fort ! », conclut-elle en riant.

Empire of Light prendra l’affiche le 9 décembre.