Une autre version du célèbre conte de Carlo Collodi ? Oui. Mais en passant par l’imagination d’un créateur d’exception comme Guillermo del Toro, ce Pinocchio en animation image par image (stop motion) ne ressemble à aucun autre. Et raconte le monde à sa façon en faisant de la marionnette de bois un modèle de désobéissance.

Depuis 20 ans, le monde a eu droit à au moins trois adaptations cinématographiques du conte que Carlo Collodi a écrit en 1881. Deux d’entre elles furent très mal reçues (celle de Roberto Benigni en 2002 et celle de Robert Zemeckis il y a quelques mois à peine), alors que Matteo Garrone, plus fidèle au conte original, a offert en 2019 ce qui est jusqu’ici considéré comme étant l’adaptation la plus juste.

Depuis une quinzaine d’années, Guillermo del Toro réfléchit à sa propre version de Pinocchio, cette fois en animation dite stop motion, technique artisanale consistant à faire bouger les personnages en les filmant image par image. Même s’il a commencé à étudier cette approche depuis toujours, avant même Cronos, son premier long métrage, le cinéaste mexicain signe la réalisation de son Pinocchio avec Mark Gustafson, renommé entre autres grâce à la série The PJs.

« Il y a 10 ans, j’ai fait vœu de me concentrer davantage sur l’animation », a expliqué Guillermo del Toro lors d’une rencontre de presse virtuelle à laquelle La Presse a assisté. « D’abord, je dois dire que l’animation, c’est du cinéma à part entière, pas seulement un genre. Cet art n’est pas spécifiquement destiné aux enfants non plus. On peut y aborder des thèmes graves, profonds et émouvants. »

PHOTO AUDE GUERRUCCI, AGENCE FRANCE-PRESSE

Guillermo del Toro a mis beaucoup d’efforts pour que son Pinocchio prenne vie.

L’animation image par image requiert aussi un long processus parce que tout est créé matériellement. La nature même du conte de Pinocchio commandait cette technique.

Guillermo del Toro

L’enfance en temps de guerre

Voyant un peu son Pinocchio comme le dernier volet d’une trilogie amorcée avec L’échine du diable et poursuivie avec Le labyrinthe de Pan, deux films au cœur desquels figurait le thème de l’enfance en temps de guerre, le cinéaste a transposé l’histoire de Collodi au début du XXe siècle. Le cadre dans lequel évolue son Pinocchio est d’abord celui de la Grande Guerre, puis celle de la montée du fascisme en Italie avec l’arrivée au pouvoir de Benito Mussolini.

Nous voulions donner à cette histoire une résonance plus singulière, plus poignante. À travers Pinocchio, je souhaitais illustrer la fragilité de la condition humaine, la valeur précieuse de la vie. Et à quel point nous avons besoin les uns et des autres.

Guillermo del Toro

« Je dis souvent que les deux contes essentiels qui ont défini ma jeunesse sont Pinocchio et Frankenstein, poursuit-il. Cela en dit probablement beaucoup sur mes relations avec mon père, mais j’aimais être projeté dans un monde que je comprenais à peine, et auquel j’essayais de trouver un sens. À mes yeux, Pinocchio est l’un de ces rares personnages – il y en a peut-être 10 dans l’histoire de l’humanité – capables d’être universels et complètement adaptables dans n’importe quel contexte. »

IMAGE FOURNIE PAR NETFLIX.

Une scène tirée de Guillermo del Toro's Pinocchio

Celui qui, avec ses compatriotes Alfonso Cuarón et Alejandro González Iñárritu, a conquis Hollywood en imposant son propre univers estime qu’une donnée essentielle différencie son adaptation de Pinocchio de toutes les autres réalisées jusqu’à maintenant : la désobéissance.

« Être un humain ne signifie pas de devoir se changer soi-même ou d’essayer de changer les autres, soutient-il. Mais d’essayer de comprendre. »

La première étape pour atteindre sa conscience et son âme est de désobéir aux dogmes. Là se trouve d’ailleurs la distinction entre les idées et les idéologies. Une idée provient de l’expérience, de la compassion et de la compréhension. Une idéologie est une chose qu’on te donne et à laquelle on te dit de te soumettre aveuglément.

Guillermo del Toro

Un homme en deuil

D’abord fabriquée par Geppetto, un homme en deuil de son petit garçon, mort sous les bombes, la petite marionnette de bois devenue enfant apprend à se faire aimer telle qu’elle est, plutôt que de tenter de répondre aux standards attendus du « bon petit garçon ». Selon le cinéaste, là réside la clé d’un scénario écrit en collaboration avec Patrick McHale, reconnu essentiellement pour avoir écrit des scénarios de séries d’animation, notamment Adventure Time et Over the Garden Wall.

« Nous sommes habitués à voir Pinocchio apprendre à obéir pour se permettre ensuite de se transformer en un garçon de chair et d’os. Dans notre version, je souhaitais au contraire que tous ceux qui le côtoient puissent apprendre quelque chose de lui, et apprendre à l’aimer tel qu’il est, autant Geppetto que Sebastian Cricket. Nous n’avons pas fait un film traditionnel pour enfants, mais les enfants qui le verront auront sans doute envie d’en discuter ! »

IMAGE FOURNIE PAR NETFLIX

Une scène tirée de Guillermo del Toro’s Pinocchio

Mark Gustafson et Guillermo del Toro, qui affirment avoir travaillé en symbiose (« on s’aime encore plus à la fin qu’au début ! », déclarent-ils), ont par ailleurs abordé la mise en scène de Pinocchio comme s’il s’agissait d’un film réaliste.

« Ce fut d’ailleurs un grand défi pour les marionnettistes, car nous les avons fait bouger et se déplacer de la même façon que nous l’aurions fait avec des acteurs humains, dit celui qui, il y a quatre ans, a obtenu l’Oscar de la meilleure réalisation grâce à The Shape of Water. Pinocchio aborde des thèmes très adultes, qui nous ramènent au monde réel, mais il peut aussi être vu en famille, car il a beaucoup de cœur. Nous avons tenté d’atteindre les plus hauts degrés d’émotion. À 58 ans, je deviens de plus en plus conscient que la seule chose qu’on fait en ce monde est de laisser quelque chose derrière. Le reste, c’est seulement du matériel qui s’efface. J’aime l’idée de laisser quelque chose de beau. »

Pinocchio sera déposé sur Netflix le 9 décembre.