(Paris) Le réalisateur chilien Sebastián Lelio est convaincu du « pouvoir » de la fiction : bénéfique lorsque l’un de ses films, oscarisé, permet de reconnaître la transsexualité dans la loi, mais dangereuse lorsqu’elle vient au secours d’idéologies mortifères dans The Wonder, son nouveau long métrage.

Porté par la coqueluche du cinéma britannique Florence Pugh (Don’t Worry Darling, Black Widow, Midsommar…), ce film à la photo soignée ne sortira pas au cinéma, mais directement sur Netflix mercredi.

S’il se passe dans la lande irlandaise du XIXe siècle, après la grande famine, The Wonder a une portée universelle, avec la dénonciation de l’emprise des « fake news » et du fanatisme.

« C’est un film où la rationalité est confrontée au fanatisme », explique le réalisateur à l’AFP. « Mais, au fond, ce n’est pas sur la religion, c’est sur des gens qui affirment avoir trouvé la vérité et qui déforment la réalité pour qu’elle corresponde à leurs croyances ».

Dans le film, une infirmière anglaise est appelée au chevet d’une jeune fille de 11 ans, qui prétend ne plus rien avaler depuis des mois et survivre par miracle. Autour d’elle, la communauté villageoise, profondément religieuse, fait bloc, préférant la laisser mourir de faim plutôt que de remettre en cause ses croyances.

« Ils utilisent cette histoire politiquement, […] et je pense que c’est quelque chose de très actuel aujourd’hui, dans l’ère des “fake news” », poursuit Sebastián Lelio.

« Avec internet, des millions de personnes peuvent tomber dans le piège de croyances stupides […] ou dans la fascination pour le fascisme, qui est un usage efficace du récit ».

« C’est très contemporain », ajoute-t-il, en évoquant la répression en Iran, « où la croyance génère tellement de peine et de douleur, en ce moment même ».

Révélation avec Luke Skywalker

PHOTO JEFF PACHOUD, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le réalisateur chilien Sebastián Lelio

Élevé pendant la dictature de Pinochet au Chili, Sebastián Lelio, 48 ans, sait de quoi il parle : « J’ai grandi dans le sud du Chili, très vert, ressemblant quelque part à l’Irlande. C’était une dictature très machiste dans un pays très catholique. Même si les spécificités culturelles sont différentes, je connais ces dynamiques de pouvoir ».

Le réalisateur leur oppose la force du récit, artistique notamment. Il l’a vécue avec l’épopée d’Une femme fantastique, son film oscarisé mettant en scène l’actrice transgenre Daniela Vega.

Celui-ci a permis à l’actrice de lancer un débat « qui a pu éduquer et faire avancer la société (chilienne) entière » et de concrétiser l’adoption d’une législation reconnaissant la transsexualité, rappelle-t-il.

« C’est un récit, devenu politique, qui se traduit en faits. Nous avons besoin de créer des histoires toujours meilleures, qui peuvent faire avancer nos sociétés », souligne-t-il.

Comme Almodovar de l’autre côté de l’Atlantique, lui-même raconte beaucoup d’histoires de femmes, avec des actrices comme Rachel Weisz ou Julianne Moore, qu’elles soient inspirées de celles qu’il entendait, petit garçon, sa mère et ses copines se raconter, dans Gloria, ou encore du milieu juif orthodoxe (Désobéissance).

« J’ai toujours l’impression de marcher à leurs côtés, […] de traverser le désert avec elles. J’en ressens une sorte d’honneur », poursuit-il.

Référence d’un nouveau cinéma latino-américain, Lelio raconte une enfance dans une famille éloignée de la culture et des livres, que rien ne prédestinait à être bouleversée par la puissance du cinéma.

Jusqu’au jour où il va voir L’Empire contre-attaque. « Luke Skywalker allait entrer dans l’étoile noire et, moi, j’avais envie de pisser », raconte-t-il en souriant. « Là, il fallait que je décide : ou bien je me pissais dessus, ou bien je manquais le point culminant du film ».

« Je me suis dit : OK, je me pisse dessus. C’était une victoire et une défaite en même temps, mais quelque chose s’est passé en moi, une conviction intime que ce qui se passait avait du sens. […] Je m’étais pissé dessus, mais c’était ma décision ».