En portant à l’écran la vie du tueur à gages Gérald Gallant, Luc Picard a dû faire face au dilemme auquel font face tous les cinéastes qui réalisent des films sur des meurtriers. Ce faisant, il a aussi trouvé un grand défi à relever à titre de comédien. Entretien.

Plusieurs années avant même que le producteur Christian Larouche ne vienne mesurer son intérêt pour le scénario de Confessions, écrit par Sylvain Guy à partir du bouquin qu’ont publié les journalistes Éric Thibault et Félix Séguin, Luc Picard s’était intéressé à Gérald Gallant. Il avait en outre commencé l’écriture d’un scénario à propos du plus prolifique tueur à gages du Québec, devenu ensuite délateur pour la police.

« En tant que personnage, je trouve que Gallant est un objet qui vaut la peine d’être enquêté, indique Luc Picard au cours d’un entretien accordé à La Presse. Ce petit monsieur n’a l’air de rien, mais il pouvait entrer dans un restaurant et abattre à froid, sans aucune émotion, une personne qu’il ne connaissait pas pour 20 000 $. J’ai rencontré plusieurs criminels pour préparer le film et ils m’ont tous dit la même chose : quelqu’un qui peut faire ça sans se coker, sans rien, c’est extrêmement rare. Gallant était apprécié par ceux qui donnaient les contrats parce qu’ils savaient qu’avec lui, le travail serait fait sobrement, sans erreur. »

Les contradictions d’un personnage

En signant à titre de cinéaste un cinquième long métrage, très différent en tonalité des quatre précédents, Luc Picard était bien conscient des pièges qui s’ouvraient devant lui en portant au cinéma la vie d’un criminel dont les meurtres, souvent commis en public, ont évidemment touché beaucoup plus de personnes que les victimes directes. De plus, la personnalité de cet homme vivant modestement dans une petite maison de Donnacona, qui pouvait appeler la police pour se plaindre du passage trop rapide d’une voiture dans sa rue, a aussi un côté plus « attachant ».

« La contradiction du personnage est réelle et n’a pas été inventée par le cinéma, précise Luc Picard. J’ai eu accès à des heures et des heures d’interrogatoires. Gallant est comme ça. J’ai d’ailleurs tenu à ce que le film commence par une scène où l’on constate les dommages réels de ses actions. J’ai même voulu tourner dans l’un des restaurants où un meurtre a véritablement eu lieu, mais le propriétaire a refusé parce que l’évènement a été trop traumatisant pour lui et ses employés. J’ai alors compris à quel point il y avait plein de victimes collatérales autour des crimes de Gallant, qu’il faut respecter. »

Si les faits entourant les assassinats commis par Gallant – 28 en tout – sont véridiques, Confessions est aussi un film de fiction. Mis à part celui du protagoniste (ainsi que celui du caïd Maurice Mom Boucher), tous les noms ont été changés.

« J’ai toujours trouvé – et je trouve encore – que la fiction, c’est fait pour flyer, pour laisser voguer l’imagination et les émotions », insiste celui qui a signé les réalisations de L’audition, Babine, Ésimésac et Les rois mongols. « C’est fait pour transgresser le réel, en fait. On s’inspire librement d’une histoire pour atteindre une certaine liberté artistique, sans devoir être menotté à la réalité. »

J’ai d’ailleurs expressément inclus à la toute fin un petit extrait d’un interrogatoire avec le vrai Gérald Gallant, qui contredit même un bout de ce qu’on a montré avant. C’est une façon de revendiquer la part de fiction.

Luc Picard

Un énorme défi

Luc Picard n’a pas pu rencontrer celui à qui il prête ses traits dans Confessions. À titre de témoin repenti, Gérald Gallant purge sa peine de prison à vie dans un endroit tenu secret. S’il en avait eu la possibilité, l’acteur aurait sans doute sollicité une audience, même si sa raison lui aurait assurément suggéré le contraire.

« Quand tu rencontres un personnage ayant réellement existé et qu’il s’ouvre à toi, ça te coince un peu parce que, d’une certaine façon, tu lui deviens redevable. Là, la question ne s’est pas posée parce qu’il était absolument impossible de rencontrer Gérald Gallant. À la limite, j’aurais pu correspondre avec lui par écrit, mais, non, je n’en avais pas vraiment envie. Mais si j’avais pu le rencontrer en personne, je n’aurais pas pu résister, c’est sûr, malgré tout ce que je viens de dire. »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Le producteur Christian Larouche a offert à Luc Picard de porter à l’écran un scénario de Sylvain Guy.

Autant pour le réalisateur que pour l’acteur, Gérald Gallant constitue un énorme défi. Le cinéaste a d’abord dû orchestrer un film comportant des scènes plutôt compliquées sur le plan logistique avec un budget relativement modeste pour un long métrage du genre (6,3 millions de dollars). Il lui a aussi fallu trouver la façon de donner envie au spectateur de suivre un personnage très beige.

Il ne fallait pas trahir le fait que Gallant est un homme plate. Comment mettre à l’écran quelqu’un qu’on ne remarquerait pas du tout dans la vie et le rendre quand même intéressant ? Trouver cet équilibre fut un grand défi, d’autant qu’il y a une absence d’humanité chez cet homme. On dirait qu’il lui manque quelque chose.

Luc Picard

Comme un pilote de course

De la même façon qu’il recréait dans le sous-sol de la maison familiale des scènes de films qu’il voyait quand il était enfant, Luc Picard a, bien avant le tournage, commencé à travailler le personnage chez lui en regardant les enregistrements des interrogatoires de Gérald Gallant. Et en le jouant ensuite.

« Je voulais arriver à la préproduction en le possédant déjà, comme pour ne plus avoir à y penser, explique-t-il. Quelque chose d’organique s’installe et tu as l’impression que le personnage emprunte alors son propre chemin. Je me suis même mis à bégayer dans la vie. J’ai souvent joué dans les films que j’ai réalisés, mais jamais un personnage qui est de tous les plans. C’est un procédé narratif dangereux – on peut en venir à ne plus voir le personnage tellement il est présent à l’écran –, mais comme j’adore les rôles de composition, c’était vraiment trop tentant pour l’acteur ! »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Luc Picard a fait appel à quelques pointures pour composer la distribution de Confessions, parmi lesquelles Sandrine Bisson, Maxim Gaudette et David La Haye.

Entouré de pointures, notamment David La Haye, Sandrine Bisson, Éveline Gélinas, Maxim Gaudette et Louise Portal, Luc Picard offre ainsi un portrait de la vie criminelle québécoise à l’opposé de celle, plus glamour, dont le cinéma s’inspire habituellement. À travers le portrait de Gérald Gallant se dessine également celui de la pauvreté, sur tous les plans.

Vu aussi au cinéma dans l’excellent Arsenault & Fils, de Rafaël Ouellet, ainsi que dans la série télévisée Aller simple (qui lui vaut d’être cité aux Gémeaux), Luc Picard montera par ailleurs sur scène l’an prochain pour incarner Jean-Paul Riopelle sous la direction de Robert Lepage. Le jeu restant son grand amour, le comédien est vraiment bien servi ces temps-ci.

« Nous, les acteurs, sommes un peu comme des pilotes de course, parce qu’on est quand même tributaires du char qu’on nous passe. Pis le char, c’est le rôle ! »

Confessions prendra l’affiche le 20 juillet.