Simon Lavoie est renommé grâce aux films qu’il a coécrits et coréalisés avec Mathieu Denis (Laurentie, Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau) et ceux qu’il signe seul (Le torrent, La petite fille qui aimait trop les allumettes, Nulle trace). On lui doit le scénario de Norbourg, dont la réalisation est assurée par Maxime Giroux (Jo pour Jonathan, Félix et Meira, La grande noirceur), autre cinéaste reconnu pour la singularité de son cinéma. Rencontre.

Doit-on s’étonner de vous retrouver l’un comme l’autre sur un projet de film comme Norbourg, lequel semble, sur papier, plutôt éloigné de vos univers respectifs ?

Maxime Giroux : Oui [rires] !

Simon Lavoie : C’est une évolution, une espèce de coming out. On aime tous les cinémas, en fait. Il est vrai qu’on propose habituellement des films d’auteur peut-être un peu plus pointus, mais on aime bien aussi le cinéma américain de qualité, un cinéma narratif.

M. G. : Gus Van Sant a toujours été un modèle pour moi. Il est capable d’aller dans un sens et dans l’autre sans craindre de jouer dans les extrêmes. Good Will Hunting a vraiment touché les gens, et il a ensuite fait des films comme Gerry ou Last Days, qui sont complètement à l’opposé. Il tire son épingle du jeu dans tout ce qu’il fait, sans jamais perdre son identité. Je comprends qu’on puisse trouver surprenante notre présence sur Norbourg, mais je suis également étonné que des cinéastes aient envie de toujours faire le même film, à part ceux qui s’inspirent de leur propre vie. Personnellement, je ne conçois pas le cinéma de cette façon.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Pour Norbourg, le cinéaste Maxime Giroux a porté à l’écran un scénario de Simon Lavoie.

Le récit relate l’ascension de Vincent Lacroix (François Arnaud), responsable du plus grand scandale financier de l’histoire du Québec, mais aussi d’Éric Asselin (Vincent-Guillaume Otis), personnage beaucoup moins connu, un enquêteur de l’ancienne Commission des valeurs mobilières qui deviendra le bras droit du fraudeur. D’où vient l’idée d’un film sur l’affaire Norbourg ?

S. L. : J’ai soumis cette idée il y a longtemps, quand un distributeur m’a demandé si j’avais en tête un sujet qui aurait un certain potentiel commercial. Mais ça ne s’est pas concrétisé à l’époque. Les gens ont tendance à penser que Norbourg est un film de commande, mais non. C’est un sujet que j’ai mis de l’avant, qui a intéressé Réal Chabot [le producteur] et Maxime est arrivé par la suite. J’estime que ce qui se passe dans Norbourg rejoint quand même des thèmes que j’ai abordés dans d’autres films, dans la mesure où toutes mes histoires sont ancrées dans la société québécoise. L’affaire Norbourg est beaucoup plus qu’un simple fait divers. Elle a eu un écho retentissant et a profondément marqué les esprits. L’aspect moral de cette histoire, l’appât du gain facile, avec des gens qui sautent la clôture en toute impunité, tout ça est fascinant. C’est ce qui est arrivé à Éric Asselin, un fonctionnaire qui, au départ, avait une vie très rangée.

M. G. : Il y a aussi que les Québécois n’avaient jamais été témoins d’une fraude de cette envergure et plusieurs d’entre nous se sont dit qu’ils auraient facilement pu être victimes de ces deux gars-là. On voyait ça aux États-Unis, mais personne n’imaginait qu’une telle chose pouvait arriver ici.

Simon, vous avez jusqu’à maintenant porté à l’écran vous-même, parfois aussi en coréalisation, tous les scénarios que vous avez écrits. Pourquoi avoir fait appel à un autre cinéaste pour Norbourg ?

S. L. : J’ai évidemment pensé un temps pouvoir réaliser ce film moi-même, mais au fur et à mesure que le projet avançait, je me suis dit qu’il serait intéressant d’inclure une autre vision, portée par quelqu’un qui pourrait poser un regard neuf en apportant son expertise et son savoir-faire. J’avais l’impression que Maxime pouvait amener tout ça à un autre niveau. J’ai fait appel à lui quand l’écriture du scénario a été terminée, ce qui veut dire qu’il est impliqué depuis cinq ou six ans.

M. G. : De mon côté, ça me faisait du bien de travailler sur un projet que je n’avais pas entamé, en disposant d’un scénario hyper précis sur le plan de la mise en scène. Le défi de réalisation consistait à porter à l’écran une histoire très chargée, très complexe, avec un plan de tournage relativement court. C’est un scénario à l’américaine que nous avons dû réaliser à l’intérieur des paramètres du cinéma québécois.

PHOTO FOURNIE PAR MAISON 4 : 3 ET ENTRACT FILMS

Dans Norbourg, Vincent-Guillaume Otis incarne Éric Asselin, le complice de Vincent Lacroix.

On se souvient tous de cette histoire et des images de Vincent Lacroix sortant piteux du palais de justice après sa condamnation, mais le fait est qu’il a été libéré au bout de trois ans, et que son associé, Éric Asselin, n’a jamais été condamné. Les non-initiés du monde de la finance qui regarderont votre film, doivent-ils comprendre qu’ils ne sont pas du tout mieux protégés aujourd’hui contre ce genre de fraude ? Ou le sont-ils ?

M. G. : C’est là, l’intérêt. On souhaite justement que les spectateurs se posent des questions de ce genre. Parce qu’il faut faire encore très attention.

S. L. : D’autant qu’aujourd’hui, tout est dématérialisé et l’univers de la finance se déroule dans le monde virtuel. Ça devient alors très abstrait. Les escrocs n’ont plus besoin d’entrer par effraction dans une maison pour voler de l’argent. Les faits relatés dans Norbourg se déroulent entre 1998 et 2005. Depuis, le nombre de fraudes s’est amplifié. On est maintenant dans la cryptomonnaie, la haute spéculation, et chaque jour amène de nouvelles histoires. Les fraudeurs réussiront toujours à trouver de nouvelles façons de passer à travers les mailles du filet. C’est à nous d’être vigilants, de nous responsabiliser en ne remettant pas aveuglément nos finances personnelles sans surveillance.

M. G. : Plusieurs des victimes de Norbourg pensaient que leur argent était placé à un endroit géré par la Caisse de dépôt et placement et ne savaient pas que les fonds avaient été vendus à Norbourg, même si c’était relativement facile d’être au courant. Aujourd’hui, on investit dans des institutions virtuelles où on ne peut jamais parler directement à quelqu’un.

S. L. : Et les peines ne semblent jamais être à la mesure du crime, même si, pourtant, les blessures sont aussi graves que celles que peuvent subir les victimes de voies de fait. Il y a des gens qui ont vraiment tout perdu.

Êtes-vous heureux de votre film ?

M. G. : Oui. À la base, j’ai voulu le faire pour le grand public, ce qui ne m’était encore jamais arrivé. Je souhaite que les Québécois voient ce film pour se rappeler que ce genre de fraude est possible. On a voulu proposer un long métrage efficace, avec un bon scénario, et je crois que ça fonctionne bien. J’en suis fier, et je crois même que c’est la première fois que je dis ça d’un de mes films !

S. L. : J’aime aussi beaucoup l’imagerie. Maxime – et Sara Mishara à la photo – a su saisir l’esprit d’un Montréal un peu sale, comme on le voit plus rarement dans notre cinéma.

Norbourg est présentement à l’affiche.