François Ozon avait depuis longtemps envie de travailler avec Sophie Marceau, mais cette rencontre n’avait encore jamais pu avoir lieu. L’occasion s’est présentée à la faveur d’une adaptation à l’écran de Tout s’est bien passé, un récit d’Emmanuèle Bernheim dans lequel la romancière raconte comment elle a aidé son père à mourir. Entretien.

Il y a quelque chose de très personnel et de très intime dans ce film de François Ozon. Le réalisateur d’Été 85 porte en effet à l’écran un récit qu’Emmanuèle Bernheim a publié en 2013 (quatre ans avant sa mort), dans lequel celle qui, par quatre fois, a collaboré à l’écriture de ses scénarios (notamment celui de Swimming Pool) a raconté la fin de vie de son père.

Le cinéaste français a ainsi confié le rôle de celle qui était une amie, en plus d’être une collaboratrice, à Sophie Marceau. L’an dernier au Festival de Cannes, où le film était en lice pour la Palme d’or, François Ozon a d’ailleurs déclaré avoir écrit le scénario de Tout s’est bien passé spécifiquement pour l’actrice, avec qui il n’avait encore jamais tourné. D’incarner une personne ayant existé, avec laquelle les proches sont encore très liés, a constitué un défi particulier pour celle qui s’est faite plus rare sur les écrans de cinéma au cours des dernières années.

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Sophie Marceau, Géraldine Pailhas et André Dussollier dans Tout s’est bien passé, un film de François Ozon

« Emmanuèle n’était pas connue du grand public, mais aimée de ses amis, de son entourage, et ça, déjà, ça me pesait », a confié Sophie Marceau au cours d’une interview en visioconférence accordée à La Presse lors des Rendez-vous du cinéma français d’Unifrance. « Je connais notamment Serge Toubiana, son conjoint, et j’avoue avoir eu quelques inquiétudes. J’ai eu peur de le décevoir, qu’il ne reconnaisse pas du tout la personne qu’il a aimée. Le livre qu’a écrit Serge à propos d’Emmanuèle [Les bouées jaunes] m’a cependant beaucoup aidée. Lire un portrait de femme écrit par un homme amoureux, ça donne de belles couleurs au personnage. Je dois dire qu’il m’a fait le compliment d’avoir beaucoup apprécié le film. Ça m’a beaucoup touchée. »

Sans pathos ni psychologie

Dans Tout s’est bien passé, qui met aussi en vedette André Dussollier et Géraldine Pailhas, le personnage qu’interprète Sophie Marceau porte d’ailleurs le nom de l’autrice du récit. Emmanuèle doit faire face à une requête impossible que lui fait son père après que ce dernier eut subi un AVC. Âgé de 85 ans, très apprécié du milieu culturel, cet homme désormais diminué, toujours imprévisible, lui demande en effet de « l’aider à mourir ».

Cette dernière rejette l’idée au départ, bien sûr. Tout le récit est cependant construit autour de l’acceptation progressive de cette option, et de la façon de la réaliser. À cause des lois mises en place en France à l’époque où se déroule le récit, mourir dans la dignité voulait souvent dire devoir organiser sa fin de vie dans une clinique en Suisse. Et, dans le cas de l’histoire racontée dans Tout s’est bien passé, s’engager dans une intrigue quasi policière. Cet aspect a d’ailleurs étonné l’actrice.

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Géraldine Pailhas, François Ozon, Sophie Marceau et André Dussollier lors de la montée des marches au Festival de Cannes l’an dernier

« Quand quelqu’un s’apprête à mourir, il y a des tas de trucs très factuels à organiser, fait-elle remarquer. S’y ajoutent les volontés de celui qu’on aide à mourir, ce qui veut dire orchestrer des rendez-vous clandestins, enfreindre la loi en risquant une amende et la prison, bref, ça devient fou. Comme tout cela est réellement arrivé, j’ai appris beaucoup de choses. Tous ces ingrédients rendent ce film très vivant. On ne fait pas de pathos ni de psychologie. On parle de la mort de façon très pragmatique, très claire. Ce sujet est d’ailleurs fort intéressant, parce que, avant de devoir gérer sa propre mort, il faudra gérer la mort des autres. »

L’apprentissage d’une vie

Révélée à l’âge de 14 ans grâce à La boum (Claude Pinoteau), Sophie Marceau fait partie de l’imaginaire collectif français depuis maintenant plus de 40 ans.

« L’apprentissage a été très dur, dit-elle. Quand la notoriété vous tombe dessus de façon aussi soudaine, aussi jeune, ça bouleverse une vie. Je n’étais pas du tout préparée à ça et ma famille non plus. Ce succès m’a ouvert le monde et m’a apporté vraiment beaucoup, mais il a aussi pris d’autres choses en échange. C’est comme ça, c’est mon destin. Cela dit, on fait avec ce qui nous arrive, au moment où ça nous arrive. »

Aujourd’hui, à la mi-cinquantaine, Sophie Marceau choisit ses rôles en fonction des coups de cœur qu’elle éprouve.

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Géraldine Pailhas, Hanna Schygulla et Sophie Marceau dans Tout s’est bien passé, un film de François Ozon

« Je n’ai pas d’ambitions carriéristes ; tout ça m’est arrivé trop jeune. Parfois, je culpabilise. Je me dis que je devrais être plus proactive et parler, appeler des gens, produire des choses. Mais ce n’est pas ma nature. Avec l’âge, je me rends compte que je ne pourrais plus enchaîner trois ou quatre films par an. Je n’en ai tout simplement pas envie. »

Dans la foulée de cette déclaration, l’actrice fait tout de même remarquer qu’elle n’a pu refuser trois projets qui se sont enchaînés au cours des deux dernières années. En plus de Tout s’est bien passé, Sophie Marceau est la tête d’affiche d’I Love America, comédie autobiographique de Lisa Azuelos, et d’Une femme de notre temps, de Jean-Paul Civeyrac. Ayant trois longs métrages à son actif à titre de réalisatrice, l’actrice n’a par ailleurs pas de projet en ce sens pour l’instant.

« Je ne suis pas prolifique à ce chapitre. À l’époque où j’ai réalisé ces films, l’exercice me paraissait important. J’ai beaucoup aimé les faire en plus. Mais tout ça passe avant tout par l’écriture, davantage que par une envie de réalisation. »

Tout s’est bien passé prendra l’affiche en salle le 1er avril. I Love America sera offert en exclusivité sur Amazon Prime Video à compter du 29 avril.