Antoine Bertrand est l’une des têtes d’affiche de Trois fois rien, comédie sociale française dans laquelle l’acteur campe un sans-abri québécois vivant à Paris. Pour la réalisatrice Nadège Loiseau, qui a également écrit le scénario, il était impensable de faire ce film sans la participation de son acteur fétiche. Entretien.

C’était il y a 10 ans. À cette époque, Nadège Loiseau avait déjà signé un court métrage à titre de réalisatrice, mais la perspective de pouvoir un jour écrire et réaliser un long métrage empruntait alors les allures d’un rêve encore lointain. Simple spectatrice, elle se rend dans une salle où l’on présente Starbuck, le film de Ken Scott qui, en France, a attiré environ 465 000 spectateurs. Antoine Bertrand fut pour elle une véritable révélation.

« Je ne saurais trop comment l’expliquer, mais je suis sortie de cette projection en me disant qu’un jour, je rencontrerais ce gars », explique Nadège Loiseau au cours d’un entretien téléphonique accordé à La Presse. « Quelques années plus tard, j’ai écrit Le petit locataire, mon premier long, et quand on m’a demandé à quel acteur je pensais pour l’un des personnages, j’ai tout de suite mentionné Antoine. Les producteurs étaient un peu décontenancés au départ — ils ne croyaient pas qu’un acteur accepterait de venir d’aussi loin –, mais ils ont été bons joueurs. J’ai donc envoyé le scénario à Antoine, qui m’a répondu très vite. Tout est parti de là. »

Dans toute sa québécitude

La complicité s’est développée très rapidement entre la cinéaste et l’acteur. Cette première expérience s’est révélée enthousiasmante au point où Nadège Loiseau aurait maintenant du mal à imaginer son univers cinématographique sans l’acteur québécois. Trois fois rien, son nouveau long métrage, a d’ailleurs été écrit spécifiquement pour Antoine Bertrand, ainsi que ses deux partenaires de jeu : Philippe Rebbot et Côme Levin.

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Nadège Loiseau

Si Antoine n’avait pas été libre, ou s’il n’avait pas voulu faire le film, j’aurais préféré abandonner plutôt que le faire avec un autre.

Nadège Loiseau

L’une des fermes volontés de la cinéaste était de faire honneur à l’acteur dans toute sa québécitude, sans pour cela tomber dans les clichés. Cet équilibre est plutôt rarement vu dans le cinéma français. Dans Trois fois rien, on ne sait trop comment le personnage qu’interprète Antoine Bertrand, surnommé Brindille, s’est retrouvé à refaire sa vie dans l’Hexagone, mais on soupçonne qu’il est là depuis un bon moment.

« Moi, j’aime Antoine, tout québécois qu’il est, insiste la réalisatrice. J’aime l’homme qu’il est, j’aime l’accent, bref, je le voulais tout entier, tel qu’en lui-même. Dans Le petit locataire, il n’avait pas vraiment de raison d’être là en tant que Québécois, et je n’en ai fait aucun cas. Je crois que le fait de ne pas être le Québécois de service dans mes histoires plaît bien à Antoine aussi. Évidemment, je trouve toujours une petite justification à l’écriture pour que tout ça reste crédible, mais je fais jouer Antoine parce qu’il est Antoine et parce qu’il est un grand acteur, pas parce qu’il y a un personnage québécois dans l’histoire. »

Comédie sociale campée dans le monde des laissés-pour-compte, Trois fois rien relate les aventures de trois sans-abri devant se partager une somme importante gagnée à la loterie. Quand on vit sans adresse et sans statut, le simple fait de réclamer son dû peut ressembler à une course à obstacles extrême, avec quelques coups de pelle dans le visage en prime. Nadège Loiseau a ainsi voulu raconter un conte humaniste, en axant son récit sur des gens qui ne sont « rien » aux yeux de la société. D’où le titre.

« La situation des SDF [sans domicile fixe] me préoccupe depuis que je suis toute petite, confie-t-elle. À travers ce film, je remets du même coup en question le regard que je pose sur eux, car on ne sait jamais trop quoi leur dire ni comment leur parler. C’est aussi un sujet politique, car on se demande pourquoi les gouvernements ne parviennent jamais à bien s’occuper de ces gens. Heureusement, les associations font un travail fou avec peu de moyens, mais l’État s’est complètement désengagé de la question. »

S’effacer derrière

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Philippe Rebbot, Antoine Bertrand et Côme Levin dans Trois fois rien, film de Nadège Loiseau

Inspirée par trois sans-abri qu’elle a connus au moment de la préparation de son premier long métrage, Nadège Loiseau a tenu à écrire son scénario pour des acteurs n’ayant pas d’identifications précises auprès du public français.

« Si Antoine avait en France la notoriété d’un Omar Sy [à qui Antoine Bertrand a donné la réplique dans Demain tout commence, d’Hugo Gélin], je crois qu’il n’aurait pas pu jouer un SDF dans Trois fois rien. Comme il s’agit d’un film où les acteurs doivent s’effacer derrière leur personnage, il était à mon sens impossible de le faire avec des stars. Les gens n’y auraient pas cru. J’aurais sans doute disposé d’un plus grand budget, de plus de temps de tournage et d’une exposition médiatique accrue, mais alors, qu’aurais-je vraiment eu à proposer ? Pour ne rien perdre sur le plan de la crédibilité, il fallait avancer dans cette histoire en toute humilité, et les acteurs l’ont bien compris. »

À cet égard, la réalisatrice est bien curieuse de la réaction qu’auront les spectateurs québécois face à Trois fois rien, étant donné la très grande notoriété dont dispose chez nous l’interprète de Junior Bougon et de Louis Cyr.

« Heureusement, je n’y ai pas trop pensé au moment de me lancer dans cette aventure, dit-elle. Aujourd’hui, le milieu du cinéma français identifie bien Antoine et je suis convaincue qu’il sera maintenant beaucoup sollicité en France aussi. »

Trois fois rien prendra l’affiche en salle le 18 mars. Antoine Bertrand et Nadège Loiseau seront présents à deux projections ouvertes au public à Montréal : le samedi 19 mars, à 19 h, au cinéma Quartier Latin, et le dimanche 20 mars, à 19 h, au cinéma Beaubien.