Pour la première fois de sa carrière, Nicolas Boukhrief a accepté de réaliser un film dont il n’a pas écrit une seule ligne du scénario. La requête est venue expressément de Pierre Lemaitre, qui souhaitait le voir porter son roman Trois jours et une vie à l’écran. Et Sandrine Bonnaire s’est révélée en être l’interprète idéale.

Nicolas Boukhrief travaillait à l’écriture d’un prochain long métrage quand un courriel inhabituel est tombé dans sa boîte de réception. L’écrivain Pierre Lemaitre, dont le roman Au-revoir là-haut a aussi fait l’objet d’une adaptation cinématographique (par Albert Dupontel), a écrit au réalisateur du Convoyeur et de La confession afin de s’enquérir de l’intérêt de ce dernier à mettre en scène Trois jours et une vie, un roman qui distille une atmosphère de film noir. Nicolas Boukhrief a été fasciné par la lecture du scénario, que l’auteur a écrit lui-même (avec la collaboration de Perrine Margaine), au point où l’autre projet a été mis de côté.

« C’est la première fois où je me suis entièrement mis au service d’un auteur, car j’écris habituellement mes scénarios », a fait remarquer le cinéaste au cours d’une interview accordée à La Presse l’an dernier à Paris, dans le cadre des Rendez-vous du cinéma français d’Unifrance.

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Nicolas Boukhrief

Il fallait que mes idées de mise en scène s’insèrent cette fois dans l’univers d’un autre, un peu comme un lierre qui entre dans une bâtisse existante. Le grand avantage est d’avoir la certitude que l’histoire qu’on raconte est intéressante.

Nicolas Boukhrief

« Quand on écrit un scénario soi-même, il y a toujours cette espèce d’angoisse sourde, ce doute qui nous ronge. On se sent parfois même comme un grand mythomane escroc qui réussit à entraîner tout le monde dans une aventure qui, au fond, ne donnera peut-être rien d’intéressant. Là, je n’avais aucun doute sur la qualité de l’histoire. »

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Jeremy Senez incarne le jeune garçon dans Trois jours et une vie.

Un sombre drame

Campé en 1999 dans un village des Ardennes belges, le récit fait écho à la disparition mystérieuse d’un enfant de 6 ans qu’un jeune garçon du voisinage, âgé de 12 ans, a côtoyé. L’enjeu n’est pas de laisser planer le mystère sur une affaire dont la nature est révélée rapidement au spectateur, mais plutôt d’explorer l’impact qu’a cet évènement auprès de ceux qui en ont directement été atteints, particulièrement le préadolescent (Jeremy Senez) et sa mère, Blanche (Sandrine Bonnaire).

« La principale difficulté était de faire un film dont la première partie est consacrée à un enfant dont la personnalité est très ambiguë, mais attachante quand même, précise le cinéaste. Et, surtout, qui est toujours en creux. C’est pourquoi je ne voulais pas d’un enfant acteur, mais plutôt d’un garçon introverti et spontané. Je cherchais avant tout un regard. Nous avons trouvé Jeremy en faisant un casting et il m’a dit qu’il voulait faire du cinéma pour mieux comprendre le métier de son père, aussi réalisateur [Guillaume Senez, Nos batailles]. J’ai trouvé ça très émouvant, très sain aussi. Il n’avait pas une envie de performance. »

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Trois jours et une vie est une adaptation du roman éponyme de Pierre Lemaitre.

Sandrine Bonnaire, sans discussion

La deuxième partie du récit se déroulant quelques années après la disparition de l’enfant, Sandrine Bonnaire a donné la réplique à deux acteurs différents, qui se sont partagé le rôle de son fils. Pablo Pauly incarne le personnage à l’âge adulte.

« J’ai eu le sentiment d’avoir un seul acteur en face de moi, a expliqué l’actrice au cours du même entretien. Jeremy n’avait jamais fait de cinéma, mais il s’est rapidement intégré. Et Pablo a calqué son jeu sur celui de Jeremy. »

Comptant aussi deux (beaux) longs métrages à titre de réalisatrice (Elle s’appelle Sabine et J’enrage de son absence), Sandrine Bonnaire a rapidement été choisie pour incarner la mère de l’un des garçons. Elle en était d’autant plus ravie qu’elle connaissait l’existence du projet et adore l’écriture de Pierre Lemaitre. Nicolas Boukhrief a d’ailleurs tenu à ce que le romancier participe au processus du choix des comédiens.

J’ai souhaité le faire avec Pierre parce que je ne voulais pas lui imposer des acteurs qu’il n’aurait pas imaginé jouer ses personnages. Sandrine, ce fut spontané. Il n’y a même pas eu de discussion tellement ça relevait de l’évidence !

Nicolas Boukhrief

L’actrice est heureuse du travail accompli dans Trois jours et une vie, mais concède avoir toujours un peu de mal à regarder un long métrage dans lequel elle joue une première fois.

« Bien sûr, ça fait partie de ce métier de se voir. Mais je ne vous cacherai pas qu’à un premier visionnement, on se regarde beaucoup, forcément. J’essaie pourtant de me l’interdire, dans le sens où j’essaie de regarder le film dans son ensemble. À l’époque où on pouvait voir des rushes [les scènes tournées au cours d’une journée], ça ne me faisait aucun souci, car nous pouvions alors voir l’ensemble de ce que nous avions fait ce jour-là. Il faut arriver à se détacher de soi-même pour ne plus voir que le personnage. Dans Trois jours et une vie, c’est l’histoire de Blanche, pas la mienne.

« Cela dit, continue-t-elle, l’exercice est très intéressant parce qu’il prend un peu la forme d’une thérapie. Au fil des années, je me suis vue grandir, devenir mature, et maintenant, je me vois vieillir. Je trouve ça formidable parce que tout ça se passe en douceur. Ce n’est pas comme ressortir une vieille photo et se dire qu’on a pris un coup de vieux ! »

Nicolas Boukhrief sort de son côté ravi de son expérience, d’autant que Pierre Lemaitre est, dit-il, « hyper enchanté » de son film.

« C’est ce qu’il m’a dit en tout cas. Et comme on continue de se voir, j’ai tendance à croire que c’est vrai ! », conclut-il dans un rire.

Trois jours et une vie prendra l’affiche le 28 mai.