Sacré meilleur long métrage d’animation aux Prix du cinéma européen l’an dernier, lauréat du César du meilleur film d’animation cette année, Josep est la première réalisation du dessinateur Aurel. Il y retrace le parcours de l’artiste Josep Bartolí, dessinateur catalan ayant fui la dictature franquiste lors de la guerre d’Espagne. Entretien avec un artiste qui rend hommage à un collègue disparu.

L’histoire de Josep Bartolí était plutôt méconnue, tout comme l’est le cadre dans lequel elle s’est déroulée, notamment ces camps d’internement en France où se sont retrouvés de nombreux ennemis du régime du général Franco, en Espagne. Comment l’idée de ce film est-elle née ?

Il y a une dizaine d’années, alors que j’étais invité dans une foire du livre, je suis tombé par hasard sur un bouquin qu’a écrit Georges Bartolí, le neveu de Josep. J’ai immédiatement été happé par le dessin ornant la couverture, puis j’ai découvert les autres dessins à l’intérieur. Tout ce qui touche à la guerre d’Espagne m’a toujours intéressé. En regardant ces dessins si forts, si puissants, j’ai tout de suite eu envie de me plonger dans cet univers. J’ai vu dans cette histoire romanesque et fabuleuse un projet de film.

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Scène tirée de Josep, long métrage d’animation réalisé par le dessinateur Aurel

Au départ, vous êtes un dessinateur de presse. Vos dessins ont en outre été publiés dans Le Monde et Le Canard enchaîné. Vous êtes aussi reconnu grâce à vos bandes dessinées documentaires, notamment Clandestino et La menuiserie. Qu’est-ce qui vous a mené vers cinéma ?

Cela s’inscrit dans une continuité. C’est comme une nouvelle porte qui s’ouvre qui, je l’espère, ne se refermera pas avec Josep. Mon approche du dessin est très journalistique, d’autant que j’ai toujours été passionné par le reportage dessiné. Cette pratique est d’ailleurs assez peu répandue maintenant, pas assez je dirais. À mes yeux, le journalisme se pratique sur le terrain, avec un carnet et un crayon. Par définition, un dessinateur travaille seul. C’est tout le contraire au cinéma, mais j’ai été très bien entouré par des gens qui comprenaient la démarche et l’intention.

Josep fait écho à un chapitre plus méconnu de l’histoire de France, celle où, à la frontière espagnole en 1939, des réfugiés ont été conduits dans des camps où ils ont dû survivre dans des conditions souvent difficiles et inhumaines. Josep se lie cependant d’amitié avec un gendarme français plus conciliant que les autres. C’est aussi à travers ce dernier qu’on apprendra l’histoire de Josep.

Les camps du sud de la France n’avaient évidemment rien à voir avec les camps nazis, mais il reste que ces lieux étaient totalement inhumains et que, même s’il n’était aucunement question d’exterminer qui que ce soit, de nombreux réfugiés sont morts de maladie. Les survivants, quand même nombreux, n’en ont pas parlé à leurs enfants, parce qu’une espèce de tabou entourait tout ça. Or, les générations suivantes ont cherché à savoir, même si la mémoire s’est tue et que les choses sont peu dites. Et puis, les questions liées aux migrations, au mauvais accueil réservé à des gens qui fuient la misère et la guerre, n’ont pas changé depuis 80 ans. Cela dit, le scénariste, Jean-Louis Milesi, et moi n’étions pas dans une démarche militante.

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Avec Josep, le dessinateur Aurel signe son tout premier long métrage.

Étant vous-même dessinateur, avec un style qui vous est propre, était-ce aisé de vous fondre dans l’univers d’un autre artiste ? Est-ce que l’idée de faire ce long métrage autrement qu’en animation vous a effleuré l’esprit ?

Dès le départ, je m’étais dit très clairement vouloir d’abord rendre hommage aux dessins de Josep Bartolí, faire connaître l’artiste. Pour ce faire, je tenais à raconter son histoire en dessins. Comme nos univers sont très distincts et que nos traits ne peuvent être confondus, les deux pouvaient donc coexister à l’écran. Le plus grand défi a plutôt été de faire le film que j’avais envie de faire, à ma manière, sans trop de concessions, même s’il faut toujours en faire pour des raisons budgétaires et des questions liées à l’industrie même de l’animation. À ma grande surprise, je n’ai pas eu à en faire beaucoup.

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Dans Josep, film d’Aurel, l’acteur Sergi López prête sa voix au dessinateur Josep Bartolí.

D’après vous, à quoi est due cette effervescence que l’on observe dans le domaine du long métrage d’animation depuis quelques années ? L’offre est maintenant abondante et très diversifiée…

J’aurais tendance à tracer un parallèle avec ce qui s’est passé dans le domaine de la bande dessinée au cours des années 1990, du moins en Europe. Nous sommes alors passés de la BD franco-belge assez classique – considérée comme un art un peu adolescent – à une forme littéraire à part entière. On publie maintenant sous cette forme des enquêtes journalistiques, de l’histoire, du roman, des nouvelles graphiques, bref, toutes sortes de styles. Il y a 30 ans, beaucoup de gens n’avaient jamais lu de bandes dessinées et n’avaient pas l’intention d’en lire. Aujourd’hui, tout le monde en a au moins une dans sa bibliothèque.

Que vous permet le dessin de plus particulier ?

Il me permet de raconter plein de choses avec une liberté qu’on ne pourrait pas avoir autrement. Réaliser ce film m’a permis de comprendre ce qu’est vraiment le dessin. Précédemment, je dessinais parce que c’était ma façon de m’exprimer, ma façon d’être au monde, mon travail, mais je ne m’interrogeais pas forcément sur les tenants et aboutissants de ce que je pratique au quotidien. Le cinéma m’a permis de prendre ce recul. Pour un prochain projet, j’ai envie de pousser la réflexion encore plus loin. Dessiner, qu’est-ce que ça veut dire ?

Josep prendra l’affiche en salle le 10 décembre.