En lice pour le Lion d’or, The Power of the Dog, nouveau long métrage de Jane Campion, sera présenté jeudi en primeur mondiale à la Mostra de Venise, première étape d’une tournée des grands festivals automnaux. Pour Roger Frappier, l’un des producteurs principaux de cette adaptation du roman de Thomas Savage, il s’agit de l’aboutissement d’un rêve étalé sur des années.

C’était à Paris, en 2012. Par une nuit d’insomnie, Roger Frappier commence à lire un bouquin de la collection 10/18, dont il ne sait strictement rien. Quelques heures plus tard, à la fin de la lecture, le coup de foudre pour Le pouvoir du chien, roman que Thomas Savage a publié en 1967, fut si grand qu’en son for intérieur, le producteur québécois était déjà animé d’une intime conviction : lui seul porterait un jour le projet de transposer ce livre au grand écran.

« J’ai alors appris que les droits en vue d’une adaptation cinématographique étaient déjà vendus, mais chaque fois que je me rendais à New York, j’ai manifesté mon intérêt auprès de l’éditeur », raconte Roger Frappier au cours d’un entretien accordé à La Presse. « Un an et demi plus tard, on m’a annoncé que les droits étaient libres de nouveau et on m’a demandé si j’étais toujours intéressé. »

La parfaite entente

Même s’il a travaillé longtemps avec deux équipes américaines qui, chacune à leur tour, ont finalement choisi d’abandonner le projet, le producteur a pu le voir prendre véritablement son envol le jour où, contre toute attente, il a reçu un appel de l’agent de Jane Campion. La réalisatrice de The Piano souhaitait non seulement porter The Power of the Dog à l’écran, mais aussi en écrire l’adaptation elle-même.

« J’aime le cinéma de Jane depuis An Angel at My Table », dit celui qui a notamment produit Le déclin de l’empire américain et La grande séduction. « Je connais tous ses films et j’estime qu’elle est l’une des plus grandes cinéastes de la planète. Mais pour un western qui se passe en 1920 dans le Montana, j’avoue que je n’aurais pas pensé à elle d’emblée.

« Après notre première rencontre à Cannes, où nous avons passé une heure formidable, nous devions nous rendre tous les deux – coïncidence – à Rome, poursuit-il. Là-bas, tous les matins dans un café, nous avons lu des chapitres du livre, parlé de l’adaptation et des personnages.

Dans les conversations que j’ai eues auparavant à Los Angeles, il y avait toujours un petit quelque chose qui accrochait. Avec Jane, je sentais vraiment que le film, c’était ça.

Roger Frappier, producteur

La cinéaste, qui n’a rien tourné pour le grand écran depuis Bright Star, et le producteur se sont ensuite donné rendez-vous au Montana afin de rencontrer les héritiers de Thomas Savage et de s’imprégner de l’environnement. Le « Big Sky Country » n’étant cependant pas doté de programmes incitatifs ni d’infrastructures pour accueillir des équipes de cinéma, la décision fut rapidement prise d’aller tourner en Nouvelle-Zélande, pays d’origine de Jane Campion, où les décors naturels sont plus vrais que nature.

PHOTO FOURNIE PAR NETFLIX

La réalisatrice Jane Campion sur le plateau de tournage de The Power of the Dog, adaptation du roman de Thomas Savage dont elle signe aussi le scénario

Benedict Cumberbatch et Jesse Plemons incarnent ainsi deux frères entretenant des liens très étroits, dont la relation sera cependant perturbée par une histoire d’amour dans laquelle l’un des deux s’engage. Le tournage a dû être interrompu au début de la pandémie, mais a pu reprendre quelques mois plus tard en respectant des règles sanitaires très strictes. Par chance, il s’adonne que Kirsten Dunst et Jesse Plemons, qui jouent les scènes les plus intimes, forment un couple dans la vie…

Un parcours à la Roma ?

Après la présentation à la Mostra de Venise ce jeudi, The Power of the Dog prendra le chemin de Telluride, Toronto et New York. Après la prestigieuse rampe de lancement que constitue ce carré d’as des grands festivals de l’automne, le western psychologique de Jane Campion sera offert dans un circuit de salles nord-américaines le 17 novembre avant d’être présenté sur Netflix le 1er décembre. Le diffuseur ne cache pas son intention de pousser cette production aussi loin que possible dans la prochaine course aux Oscars, comme il l’a fait pour Roma, d’Alfonso Cuarón, lauréat du Lion d’or à Venise il y a trois ans. Le producteur québécois ne tarit d’ailleurs pas d’éloges à propos du géant de la diffusion en ligne et de la liberté de création dont la cinéaste a pu bénéficier.

« Personnellement, je ne vois pas d’opposition entre la salle et les plateformes, soutient-il. Le cinéma existe pour être vu en salle. Les films à grand déploiement avec une énorme machine publicitaire auront toujours des milliers d’écrans à leur disposition sur la planète et pourront également exister dans la durée. Mais la salle est impitoyable pour les films intimistes ou à petits budgets. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Roger Frappier est ravi de sa collaboration avec le diffuseur en ligne Netflix.

Combien d’excellents films vus dans les festivals ne trouvent pas preneurs auprès des distributeurs et n’atteignent jamais les écrans à l’extérieur de leur pays d’origine ? 

Roger Frappier

« Un film comme Roma, tourné en noir et blanc et en espagnol, sans vedettes, n’aurait pas pu voir le jour sans une plateforme comme Netflix. Il a été projeté sur de nombreux écrans dans le monde pour être ensuite offert aux 209 millions d’abonnés dans 190 pays. C’est un pas en avant pour le cinéma. Je préfère toujours voir un film sur grand écran, mais je pense que les plateformes bonifient la fréquentation du cinéma. »

Continuer ailleurs…

Affirmant aimer toujours aussi passionnément son métier, « et même plus qu’avant ! », Roger Frappier a vu ses trois derniers projets québécois essuyer des refus auprès des institutions. Sans l’aventure The Power of the Dog, il aurait même probablement dû fermer Max Films, sa société de production.

« Je vais essayer de continuer ailleurs parce que, pour l’instant, j’ai l’impression que les portes me sont fermées au Québec. J’ignore pourquoi. Si c’est possible, j’aimerais emprunter la même démarche que celle de Louis Malle, que j’aimais beaucoup. Il faisait des films en anglais à l’international tout en continuant à faire des films en français chez lui. »

Grâce à The Power of the Dog, le producteur québécois se rendra à la Mostra de Venise pour la première fois officiellement, à titre de producteur.

« J’ai grandi avec les films de la Nouvelle Vague, mais aussi avec les films néo-réalistes italiens de l’après-guerre. J’aime profondément l’Italie et le cinéma italien. Et puis, ce festival, où Jane est déjà allée, accepte les films de Netflix. Je trouve que The Power of the Dog est à la bonne place pour sa première mondiale. De toute façon, il n’aurait pas pu être prêt pour Cannes. »

La 78e Mostra de Venise a lieu du 1er au 11 septembre.