Depuis l’éclatement de l’URSS, le territoire autonome du Haut-Karabakh fait l’objet d’incessantes disputes entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Et l’acrimonie entre les deux peuples est grande. Le cinéaste québécois François Jacob a documenté cette histoire des deux côtés de la frontière. Entretien.

Après son documentaire Sur la lune de nickel consacré à une ville minière de Sibérie, François Jacob désirait poursuivre sa réflexion sur la vie en ex-URSS. L’occasion lui en a été donnée le jour où un ami journaliste, Antoine Dion-Ortega, lui a fait part de son projet de se rendre en Azerbaïdjan, ex-république soviétique devenue riche grâce à son pétrole.

« Mon ami croyait que j’y trouverais un sujet d’intérêt. Mais arrivés sur place, nous avons rencontré l’écrivain azerbaïdjanais Akram Aylisli, qui s’est souvent exprimé sur les conflits ethniques de la région et qui a été confiné à résidence », dit-il.

Le sujet de son prochain documentaire venait d’être trouvé : le conflit entre Arméniens et Azerbaïdjanais pour le territoire montagneux du Haut-Karabakh, dont le contrôle passe d’un pays à l’autre au fil des conflits armés.

Le dernier chapitre en date, à l’automne 2020, s’est soldé par une victoire de l’Azerbaïdjan et une rétrocession d’une grande partie du Karabakh par l’Arménie. La cohabitation y est toujours aussi difficile.

« Je me définis comme une personne diplomate qui n’aime pas les simplifications. Et j’avais donc envie de comprendre pourquoi on n’est plus capable de vivre ensemble dans cette région, indique le cinéaste en entrevue. Je voulais sortir des rhétoriques trop simplistes. Sous l’URSS, tout le monde vivait en paix les uns à côté des autres. Et depuis, on s’est enfoncé dans un dialogue de sourds. »

PHOTO FOURNIE PAR LES FILMS DU 3 MARS

Scène de Sous un même soleil montrant une rencontre polie mais tendue entre un couple azéri et une Arménienne

Ce dialogue de sourds, M. Jacob l’illustre grâce à de nombreux témoignages recueillis tant en Azerbaïdjan (de façon clandestine) qu’en Arménie et au Karabakh. Même si bon nombres d’individus disent qu’ils aimeraient vivre en paix avec le voisin et qu’ils vivent sous un même soleil (d’où le titre), les antagonismes remontent vite à la surface.

Mes personnages sont à demi modérées. Prenez par exemple cette rencontre d’un journaliste azéri et sa copine avec une réfugiée arménienne aux États-Unis. Ils ne réussissent pas à se parler ! Ils ne s’intéressent pas les uns aux autres. Ils veulent simplement savoir à qui appartient le Karabakh. C’est l’obsession de la région.

François Jacob, réalisateur

Il est vrai que dans cette séquence filmée à Pittsburgh, tout le monde reste poli, mais on voit bien que cette rencontre n’aboutit nulle part.

M. Jacob a consacré quatre ans de sa vie à ce documentaire dont tout l’aspect cinématographique est fascinant. « On a fait 140 jours de tournage répartis sur neuf voyages, détaille-t-il. Nous sommes entrés cinq fois en Arménie, trois fois dans le Karabakh et trois fois en Azerbaïdjan, même si c’est très compliqué. »

Compliqué ? Selon lui, l’Azerbaïdjan est une démocratie de façade cachant « une dictature sordide à glacer le sang » et où les dollars recueillis par la vente du pétrole achètent tout, y compris une étape du Grand Prix de Formule 1. Grâce à des contacts, il a pu rencontrer quelques rares personnages azéris dans un squat de Bakou, les rares, dit-il, à être à l’aise de parler à la caméra.

Ce travail de documentation devient lourd à porter, convient M. Jacob.

C’est fatigant et épuisant de tourner un conflit ethnique. Les gens déversent de la haine en permanence. On vous accuse aussi d’espionner pour l’autre camp, etc.

François Jacob, réalisateur

Le cinéaste a sa propre opinion quant à savoir à qui appartient ce territoire.

« Pour moi, le Karabakh appartient à tout le monde, lance-t-il. En ce sens que tout le monde y a vécu durant des centaines d’années. La question n’est pas de savoir à qui ça appartient, mais comment vivre ensemble, comment refaire des frontières en tenant compte de la démographie. »

Pour le moment, cette bonne volonté ne semble pas partagée.

Sous un même soleil, en salle le 27 août