Un jour, des historiens du cinéma réfléchiront peut-être pour savoir quel a été le tout premier film post-pandémie de coronavirus évoquant ce cataclysme. Et si la réponse était Errance de Guillaume Lambert, court métrage présenté cette année en compétition officielle à REGARD ?

(Saguenay) Voici l’incroyable et non moins charmante histoire d’un film expérimental de quatre minutes et demie tourné à l’instinct et sans prétention par une bande de jeunes artisans en pleine tempête de neige à Saguenay, le 13 mars 2020.

Errance est le titre très juste de ce film décrivant l’état d’esprit dans lequel ont été plongés les Québécois au début de la pandémie. Un film d’âmes perdues dans la ville. Un film en noir et blanc alors que le gris recouvrait la planète. Un film d’humains en quête de sens.

Mais d’abord, retournons deux jours plus tôt…

Le mercredi 11 mars 2020, la 24édition de REGARD s’ouvre avec la soirée 100 % régions. La salle est pleine. Les discours se veulent rassurants et positifs. La programmation du festival est alléchante.

Le lendemain matin, le 12 mars, les invités, dont plusieurs internationaux, convergent vers Saguenay. Or, un peu avant midi, le premier ministre François Legault annonce l’interdiction des rassemblements intérieurs de plus de 250 personnes dans l’espoir de freiner la propagation du virus. À 13 h 53, la direction de REGARD annonce l’annulation du festival.

À l’initiative de quelques personnes, un rassemblement spontané des festivaliers s’organise en fin d’après-midi à la Brasserie sur Mars, rue Racine.

« Qu’est-ce qu’on fait dans ce temps-là ? On boit un verre », raconte la comédienne Catherine Brunet.

C’était encore permis à ce moment-là. C’est à cette brasserie que l’idée de faire un film nous est venue. Il y avait de l’équipement disponible. Une directrice photo, Charlie Laigneau, s’est jointe au projet.

Catherine Brunet

« Tout le monde a embarqué et plusieurs ne se connaissaient pas », résume le comédien Jean-Simon Leduc, un des juges des films alors inscrits en compétition.

Le vendredi matin 13 mars, au Café Cambio de la rue Racine, quelques artisans se rassemblent. « On a brainstormé sur ce qu’on allait faire, poursuit Catherine Brunet. Il y avait une tempête de neige qui arrivait. Le parc [la route du parc des Laurentides] allait peut-être fermer… »

PHOTO ANDRÉ DUCHESNE, LA PRESSE

Catherine Brunet, Félix-Antoine Tremblay et Jean-Simon Leduc dans le grand local d’équipement du festival REGARD

Le comédien Félix-Antoine Tremblay, porte-parole du volet jeunesse de REGARD et natif de Chicoutimi, enchaîne : « On s’est dit : “Le festival n’a pas lieu ? Pas grave, faisons quelque chose de positif avec ça.” Le film montre tout ce que sont REGARD et l’art du court métrage. Ce n’est pas tuable ! »

Au trio Brunet, Tremblay, Leduc s’ajoutent les comédiens et cinéastes Alexa-Jeanne Dubé, Étienne Galloy et Guillaume Lambert. Ce dernier était d’ailleurs le porte-parole de la 24édition. Avec Charlie Laigneau, ils sont partis capter des scènes un peu partout en ville : sur le pont de Sainte-Anne, en bordure de la cathédrale, rue Racine, etc. Au son, chacun a enregistré quelques réflexions sur l’état de la situation.

Marc-Antoine Doyon a assuré le montage.

L’écriture du film s’est beaucoup faite dans le montage. Notre travail nourrissait l’écriture.

Jean-Simon Leduc

Guillaume Lambert, présent à toutes les étapes, signe la réalisation.

Le résultat final est étonnant, crépusculaire. Derrière une ambiance de fin du monde se dessinent des images d’une grande finesse de l’hiver québécois.

« On a fait ça pour le fun, en niaisant, en improvisant, et finalement c’était comme une vraie journée de tournage, rigole Félix-Antoine Tremblay. À la fin de la journée, tout le monde était brûlé et à boutte. Il faisait tellement froid, il ventait, c’était humide ! Mais le résultat est comme un pied de nez à l’édition fantôme et à la pandémie. »

Pour nos interviewés, que le film se retrouve cette année en compétition officielle à REGARD trouve tout son sens. « On s’est virés de bord et on a mené ça à bout de bras, conclut Félix-Antoine. Que ça se rende à la 25édition nous permet de boucler la boucle. »