Nulle trace, plus récent long métrage de Simon Lavoie, ouvrira ce vendredi la 27e édition du festival américain Slamdance, consacré au cinéma indépendant. En entrevue avec La Presse, le réalisateur explique que l’essence de son nouvel opus est nourrie de sa fascination personnelle pour les gens cultivant une grande foi.

Qu’un film québécois ouvre un festival de cinéma, peu importe sa taille, est un évènement rare. Dans le cas de Nulle trace, de Simon Lavoie, on peut aussi parler d’un excellent choix. Car son film, audacieux et singulier, se démarque à tous points de vue.

Destiné à une sortie en salle plus tard cette année au Québec, Nulle trace raconte une histoire campée au bord du Saint-Laurent, dans un futur proche, dans laquelle deux femmes que tout sépare doivent s’unir et compter l’une sur l’autre pour survivre.

Leur association va plus loin que l’alliance, plus loin que le front commun. Elle s’inscrit dans une forme d’osmose, d’abandon mutuel, au cœur de la nature, où la plus grande menace marche à deux pattes et porte une arme d’assaut.

À bord de sa draisine, une femme sans âge, bourrue et solitaire (excellente Monique Gosselin), conduit une jeune femme très pieuse (Nathalie Doummar) et son bébé vers son conjoint. Traversant la « frontière », le trio s’expose à tous les dangers, sous la forme de miliciens fortement armés.

Lorsqu’un malheur, et il y en a plus d’un, s’abat sur les deux femmes réfugiées dans une cabane au fond des bois, la première cherche une façon de s’en sortir, tandis que la seconde se met à prier. Dans un de leurs rares échanges, la première dit à sa protégée ne pas être « assez désespérée » pour implorer l’aide d’un quelconque dieu.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le réalisateur Simon Lavoie

Les questions philosophiques, spirituelles et morales sont ici au cœur des préoccupations. J’étais animé par quelque chose d’un peu intime qui me tiraille depuis des années, soit cette difficulté de dialoguer entre des gens athées et ceux ayant une foi très forte, très puissante, et qui ne fait pas appel à la raison.

Simon Lavoie, réalisateur de Nulle trace, en entrevue

Dans cette logique, il dit se projeter dans le personnage incarné par Monique Gosselin. « Ce personnage est fasciné par celui incarné par Nathalie, dit-il. Cette foi irrationnelle qu’ont les gens et qui les aide à mieux vivre, qui leur donne un sens, me fascine et m’attire. J’aimerais croire, mais malheureusement, je ne crois pas. »

M. Lavoie, qui, dans le passé, a réalisé les films Le déserteur, Le torrent et La petite fille qui aimait trop les allumettes, en plus de coréaliser avec Mathieu Denis Laurentie et Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau, estime que sa nouvelle œuvre s’inscrit dans la continuité de son cinéma.

« Il y a un rapport à la religion dans Le Torrent et un personnage fou de Dieu [Jean-François Casabonne] dans La petite fille qui aimait trop les allumettes, dit-il. Et il y a au contraire réfutation de l’héritage [religieux] dans Ceux qui font les révolutions… Donc, c’est quelque chose qui est toujours avec moi. »

Un monde étrange

Pour la première fois de sa carrière, Simon Lavoie a eu le bonheur de tourner dans la région de son enfance, Petite-Rivière-Saint-François, où la voie ferrée longeant le Saint-Laurent a une grande importance dans sa vie.

Afin de créer une ambiance de fin du monde, le directeur photo Simran Dewan et lui ont tourné en noir et blanc et fait modifier la caméra pour que la seule lumière enregistrée sur le capteur soit en deçà du spectre visible à l’œil nu. Cela se traduit par des cieux noirs d’encre, une végétation blanche électrique, des yeux aux allures de billes sombres. L’effet est spectaculaire.

Chez les organisateurs de Slamdance, on a visiblement adoré cette proposition.

Nulle trace dévoile un réalisateur avec une vision et une voix singulières. C’est un film qui épouse parfaitement notre devise : un festival de cinéastes pour les cinéastes. Cette histoire très visuelle se démarque autant par sa cinématographie magnifique que par ses dialogues minimalistes et le jeu très puissant des actrices.

Paul Rachman, cofondateur du festival Slamdance

M. Rachman fait même un rapprochement avec le travail du réalisateur hongrois Béla Tarr (Le cheval de Turin) par ce bel amalgame de poésie et de gravité que véhicule Nulle trace.

Très apprécié des amateurs de cinéma d’art et d’essai, Slamdance est un peu le Off Sundance, accueillant des films aux budgets de moins de 1 million  US et sans distributeur américain. Cette année, l’évènement accueille 25 longs métrages, fictions et documentaires, et plus de 100 courts métrages.

Slamdance (12 au 25 février) est présenté en ligne en raison de la pandémie. La majorité des films sont accessibles à l’achat d’un laissez-passer de 10 $ US. Par contre, Nulle trace est géolocalisé aux États-Unis. Distribué par K-Films Amérique, le film sortira ces prochains mois au Québec.

> Consultez le site de Slamdance (en anglais)

Quatre autres Québécois à Slamdance

PHOTO FOURNIE PAR REPROBATE FILM

Lily Newmark incarne le personnage de Leah dans A Brixton Tale.

Au moins quatre autres cinéastes québécois sont inscrits à Slamdance. D’abord, Bertrand Desrochers coréalise avec Darragh Carey le drame social A Brixton Tale. Ce long métrage raconte l’histoire de Leah, youtubeuse qui s’amuse avec son copain Benji à réaliser des films dans la marge. Mais un jour, leur exploration va trop loin… Sarra El Abed et Aziz Zoromba présentent les documentaires courts Y’a pas d’heure pour les femmes et Faraway. Enfin, Alexis Chartrand signe le film The Danger in Front, à voir dans la catégorie au nom prometteur de Department of Anarchy. Bruno Marcil, Guillaume Cyr et Guillaume Lambert sont de la distribution.