(Los Angeles) Discrimination raciale, violences, répression policière et trahison… Judas and the Black Messiah, sérieux candidat pour les Oscars à venir, explore une tragédie bien réelle des années 1960 qui fait sombrement écho à la situation actuelle aux États-Unis.

Ce biopic retrace l’existence de Fred Hampton, un jeune leader des Black Panthers (mouvement révolutionnaire de libération des Afro-Américains) joué par Daniel Kaluuya, et de l’informateur du FBI qui l’a trahi.

Le film, qui sort au Canada le 12 février dans les salles et en vidéo sur demande, est produit par Ryan Coogler, le fameux réalisateur du film Marvel Black Panther.

On y voit les efforts de Fred Hampton pour mobiliser les militants de Chicago contre les violences policières qui visent la communauté noire, et la réaction des élites de l’époque pour lesquelles les Black Panthers n’étaient rien d’autre que « la plus grande des menaces pour la sécurité nationale ».

« Notre but était de faire un film qui capture l’esprit de 1968. Mais ça a tellement peu changé entre 1968 et 2021 que nous n’avons pas vraiment eu besoin de faire de parallèles », a lâché mardi le réalisateur, Shaka King, lors d’une conférence de presse virtuelle.

Le long métrage, présenté cette semaine en avant-première au festival de Sundance, ne passe pas sous silence les discours incendiaires de Hampton, dont son célèbre cri de guerre : « Tuez quelques flics, vous serez un peu satisfaits… tuez-les tous et vous serez totalement satisfaits ».

Le film illustre aussi le harcèlement subi, parfois jusqu’à la mort, par les militants des Black Panthers.

Pour ce rôle, Daniel Kaluuya a dévoré les livres de référence des Black Panthers et les discours de Fred Hampton, louant même les services d’un professeur de chant pour acquérir son phrasé enflammé.

« J’ai tout rassemblé, lu et intégré, et je me suis entraîné, je me suis fait plus grand », raconte l’acteur britannique, rendu célèbre par Get Out et son rôle dans Black Panther aux côtés du défunt Chadwick Boseman.

Les Blacks Panthers « étaient prêts à mourir pour protéger les leurs et pour libérer les leurs », dit-il. « Cela m’a profondément inspiré ».

« Propagande »

Agents doubles et trahison biblique : Shaka King compare son film à une rencontre entre Les infiltrés de Martin Scorsese et les programmes illégaux mis sur pied par l’ancien directeur du FBI John Edgar Hoover pour espionner et éliminer les organisations dissidentes aux États-Unis.

Au début de Judas and the Black Messiah, un petit délinquant de Chicago, William O’Neal (joué par LaKeith Stanfield), est pris en train de voler une voiture. Pour éviter la prison, on le contraint à infiltrer les révolutionnaires noirs.

Le film s’achève par une réelle entrevue de O’Neal dans laquelle il tente maladroitement de se justifier dix ans après les faits.

« C’est un film qui parle des dangers d’être apolitique, et à quel point ce qui peut ressembler à de l’inaction s’avère souvent dangereux », tranche King.

Jesse Plemons incarne l’agent du FBI Roy Mitchell, qui pousse le « Judas » de l’histoire à se compromettre encore davantage, tout en trouvant le moyen d’éviter de son côté tout dilemme moral. « Les Black Panthers et le Ku Klux Klan sont pareils. Leur but est de semer la haine et d’inspirer la terreur », lance-t-il à O’Neal.

Une attitude qui « n’est pas sans rappeler la politique des blancs libéraux d’aujourd’hui », estime Shaka King. « Vous avez vu l’été dernier, toutes ces sociétés qui se précipitaient pour mettre des logos et fresques Black Lives Matter. Mais qu’est-ce que ça va vraiment changer au bout du compte pour les Américains noirs ? ».

Le film des studios Warner Bros sort dans la foulée de The Trial of Chicago 7, production Netflix sur les émeutes de 1968 contre la guerre du Vietnam, et de One Night in Miami (Amazon) qui met en scène la rencontre fictive entre Muhammad Ali, Malcolm X et d’autres personnalités afro-américaines luttant pour la reconnaissance de leurs droits.

Ces trois films, qui font écho aux manifestations antiracistes géantes ayant secoué les États-Unis l’an dernier, font figure de favoris dans la course aux prix cinématographiques sur le point de s’ouvrir.

« Il s’agit de corriger la propagande », résume Shaka King.