Le scénariste, réalisateur et comédien Jay Baruchel (The Trotsky, Knocked Up, Goon) propose ce vendredi le film d’horreur Random Acts of Violence, l’histoire d’un bédéiste dont l’œuvre, inspirée par un tueur en série, se mélange à la réalité. Discussion avec un Montréalais de cœur, grand partisan du Canadien, exilé à Toronto.

Marc Cassivi : Ton film pose un certain nombre de questions éthiques sur la responsabilité de l’artiste. L’artiste peut-il être tenu responsable des actes de ses admirateurs ? La violence fictive engendre-t-elle la violence réelle ? Je me demandais ce que tu en pensais…

Jay Baruchel : Lorsque j’étais au secondaire, il y a eu la tuerie de Columbine. Ça m’a bouleversé profondément. On disait à l’époque que c’était à cause des jeux vidéo et de Marilyn Manson… Évidemment, c’était n’importe quoi ! Mais je pense qu’il y a des nuances à apporter au discours de ceux qui disent : « Je crée ce que je veux bien créer et tant pis pour le reste. » Ce n’est pas si simple. Tout artiste a un degré de responsabilité. Ce qui ne veut pas dire que Marilyn Manson a inspiré Columbine ! Mais on ne peut pas créer des œuvres et s’en dissocier complètement. Je me demande, comme homme blanc qui a grandi dans la société dans laquelle j’ai grandi, à quel point ce que j’ai vu et apprécié, ce qu’on m’a conditionné à considérer comme intéressant à l’adolescence, a influencé mon point de vue d’adulte. Ce que j’ai lu et vu, des livres aux vidéoclips, en passant par les films d’horreur dont je suis un grand fan. Je ne veux pas être didactique et dire aux gens quoi penser, mais faire semblant que nous sommes imperméables aux messages des œuvres que nous consommons est irresponsable. Ça me semblait être un terreau pour tirer la matière première d’un film d’horreur.

M. C.  : La blonde du personnage principal lui reproche son manque d’empathie pour les victimes du « héros » de sa bande dessinée, inspiré d’un réel tueur en série. C’est vrai qu’on se souvient davantage des assassins que de leurs victimes, dans les œuvres de fiction comme dans la vie…

J. B.  : J’en suis coupable moi aussi ! Je suis un fan de « true crime » depuis l’enfance. Ma mère l’est aussi. Je peux nommer les tueurs, mais pas ceux qu’ils ont tués. Je n’en suis pas fier ! On fait de ces monstres des personnages cultes, comme Jason, Freddy Krueger ou Michael Myers au cinéma. Je ne suis pas un grand penseur de la civilisation occidentale [rires], mais il me semble que c’est difficile de ne pas y voir le produit d’un point de vue masculin [male gaze] qui déshumanise le crime, célèbre sa grandiloquence et fait de l’horreur un spectacle.

M. C.  : Les personnages de ton film partent en road trip, mais ils habitent Toronto. C’est aussi devenu ta ville depuis cinq ans. Lorsque tu as quitté Montréal, tu parlais d’un plan quinquennal. Sera-t-il renouvelé ?

J. B.  : Ça s’est bien passé. J’ai réalisé deux films, je me suis marié, j’ai une maison à Toronto. Mais ma ville me manque. Heureusement, ma femme travaille beaucoup à Montréal. Donc, nous avons passé la moitié de la dernière année ici. Lorsque je suis « parti », je savais que j’allais toujours conserver un pied à Montréal. Pendant un an, j’ai même gardé ma maison dans NDG, mais ce n’était pas très pratique ! J’ai déménagé à Toronto parce que, pour le meilleur et pour le pire, je veux faire des films et de la télévision au Canada et la vérité, c’est que la plupart de mes projets sont en anglais. Cela dit, j’ai un projet de série télé bilingue en développement. Je ne sais pas si ça va se faire et je ne peux pas en parler, mais ce serait une série policière campée à Montréal dans les années 70. J’ai réalisé une chose en déménageant à Toronto, c’est que je parlerai de Montréal et j’écrirai sur Montréal le restant de ma vie. C’est une partie énorme de mon âme artistique.

M. C.  : Je relisais une entrevue que tu as accordée à Brendan Kelly de la Gazette, lors de ton départ pour Toronto il y a cinq ans. Je ne me souvenais pas à quel point elle avait créé des vagues ! Tu as beaucoup été critiqué pour tes prises de position politiques [Baruchel avait qualifié la Charte des valeurs du PQ de « dialogue ethnique toxique » et déclaré que la situation politique québécoise lui donnait des maux de tête]. Le regrettes-tu, avec le recul ?

J. B.  : Ce fut une longue semaine ! J’ai été atterré par ce que je décrirais comme une tempête dans un verre d’eau ! C’était la première fois que mes paroles avaient un quelconque impact ! [Rires] Pendant 10 ans, j’ai chanté les louanges de Montréal, à Los Angeles, à Toronto, partout où j’étais. Ça m’a brisé le cœur que deux phrases défassent tout l’amour que j’ai toujours affiché pour la ville et que ce soit les deux phrases que tout le monde a retenues. Je croyais que j’avais le droit, en tant que contribuable qui a grandi à Montréal et qui a contribué à sa culture, d’avoir une opinion sur le climat politique québécois. Mais j’ai aussi compris ce qui a vexé les gens. Est-ce que je regrette ce que j’ai dit ? Non. Absolument pas.

> Lisez l’entrevue à The Gazette (en anglais)

M. C.  : C’est un point de vue qui se défend et que plusieurs partagent…

J. B.  : J’essayais de dire que je trouvais difficile d’accepter ce que je considère être de la politique de division. Ma mère m’a appris à être fier de marcher dans les rues de Montréal et d’y voir des gens de toutes les origines, de toutes les religions, de toutes les couleurs de peau et d’y entendre différentes langues. J’ai considéré comme un affront à toutes mes convictions que des enfants se fassent dire de ne pas porter leur turban au soccer, que des enseignantes se fassent dire de ne pas porter leur hidjab au travail, des choses comme ça. Ce ne sont pas des valeurs qui me correspondent. Une partie de moi regrette d’avoir perdu une semaine de sommeil à gérer des brûlures d’estomac en lisant les chroniques dans les journaux. Je n’avais jamais eu autant d’attention médiatique au Québec de toute ma vie ! Et c’était pour la seule fois que j’ai osé critiquer ma société. Je ne disais rien d’anti-Québécois ou d’anti-Montréal ! J’adore cet endroit ! Montréal, c’est mon cœur. Cette ville veut tout dire pour moi. L’amour véritable est transparent et sincère. L’amour, c’est aussi de pouvoir dire quand quelque chose ne va pas.

M. C.  : Tu as écrit un livre sur ton amour du Canadien de Montréal (Born Into It : A Fan’s Life, 2018). Que penses-tu de ce tournoi estival de la LNH et espères-tu que les Habs perdent pour qu’on ait une chance de repêcher [Alexis] Lafrenière ?

J. B.  : On n’a pas besoin de hockey en ce moment, et je ne trouve pas que c’est l’idée du siècle. Mais c’est sûr que je vais regarder les Habs jouer ! Si nous sommes pour perdre, aussi bien perdre rapidement et avoir une chance d’obtenir Lafrenière. Le pire, ce serait de faire ce qu’on fait toujours, c’est-à-dire de jouer juste assez bien pour perdre en deuxième ronde et rentrer les mains vides. Alexis est fait pour jouer pour le Bleu-Blanc-Rouge !