Si l’enfance est un thème récurrent dans le cinéma québécois, plus rares sont les films abordant la mort d’un enfant. Et encore plus ceux touchant l’adoption. Deux sujets au cœur de 14 jours, 12 nuits, long métrage réunissant les deux comédiennes Anne Dorval et Leanna Chea, qui ne se connaissaient pas, mais entre qui le courant est passé.

Sur l’annulaire de la main gauche de Leanna Chea, on remarque un petit tatouage dont la signification nous échappe.

« On y lit Kymani. C’est le nom de mon fils de 7 ans, indique la comédienne française aux origines vietnamienne et cambodgienne qui partage la vedette avec Anne Dorval dans 14 jours, 12 nuits. Durant le tournage, j’ai été séparée de lui pendant un mois et demi. C’était très dur, surtout lorsque nous étions projetées dans des situations intenses. Après certaines scènes, je l’appelais pour m’éloigner de mon personnage. »

Ces situations intenses auxquelles la comédienne fait référence sont effectivement nombreuses dans le film écrit par Marie Vien et réalisé par Jean-Philippe Duval. L’histoire nous plonge dans le destin de deux femmes, Isabelle (Dorval), océanographe vivant dans la région du Bic, et Thuy (Chea), jeune femme vivant à Hanoï. Ces deux mères, la première biologique et la seconde adoptive, sont réunies malgré elle par la mort d’une enfant.

Un thème très dur, mais qui porte aussi des accents de beauté. Et qui est tissé de nombreuses couches de sentiments : le deuil, la culpabilité, le pardon, l’amour. « L’histoire parle aussi d’une amitié naissante et de réconciliation, dit Anne Dorval, mère de deux enfants maintenant adultes. Au bout du compte, j’ai trouvé cette histoire très lumineuse. Même si je n’aurais pas interprété ce rôle dur plusieurs fois de suite. »

Une belle rencontre

Anne Dorval et Leanna Chea portent le film sur leurs épaules. Moment fort du scénario, la rencontre entre Isabelle et Thuy fera basculer le parcours de la première. Mère vivant seul son deuil alors qu’elle est de retour au Viêtnam, elle se retrouve face à la possibilité de partager sa peine avec Thuy. Ce qui pose toutes sortes d’enjeux moraux et teinte les échanges entre les deux femmes.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Anne Dorval

Cela apporte une forme de thriller. Isabelle sait qui est Thuy, mais l’inverse, non. Ce qui est comme une bombe à retardement.

Anne Dorval

En marge du tournage, la création du film a été l’occasion d’une belle rencontre personnelle et professionnelle entre les deux actrices.

Leanna Chea a d’abord suivi une formation en danse hip-hop avant de se tourner vers le jeu. À Paris, elle est allée voir son tout premier film québécois : Mommy, de Xavier Dolan. Et a eu un coup de foudre pour Anne Dorval.

PHOTO FOURNIE PAR FILMS SÉVILLE

Leanna Chea dans 14 jours, 12 nuits

Mon but était de devenir une actrice comme elle. Je rêvais de pouvoir travailler avec une actrice possédant une telle véracité dans le jeu et capable d’incarner un personnage complexe sans rien dévoiler.

Leanna Chea

On imagine aisément ce qu’elle a ressenti en apprenant qu’il y avait un appel de casting à Paris où l’on cherchait une jeune femme vietnamienne parlant français pour jouer avec Anne Dorval. « Je me suis dit que c’était pour moi, poursuit Leanna Chea. J’ai voulu mettre toutes les chances de mon côté. J’ai embauché un coach. »

Après un premier essai dans la capitale française, elle est invitée au Québec pour une seconde audition (un call-back dans le jargon du métier) en présence de la comédienne et du réalisateur Jean-Philippe Duval.

« Venant de la danse, Leanna avait un rapport au corps que j’aimais beaucoup, dit ce dernier. Je cherchais pour le personnage une Vietnamienne moderne et très ancrée dans sa vie en dépit des douleurs du passé. Elle incarnait cette énergie, cette dynamique. »

« Elle était parfaite, ajoute Anne Dorval. Notre chimie a été instantanée. Nous savions que nous allions bien ensemble. »

Deux mondes, deux cultures

14 jours, 12 nuits constitue aussi une rencontre entre deux cultures, deux mondes, qui se dévoilent dans le Bas-Saint-Laurent pour le Québec et par Hanoï et la baie d’Along au Viêtnam.

En somme, deux lieux d’une grande beauté naturelle. Deux décors exceptionnels pour camper la douleur intérieure des deux mères. Pour cela, il fallait éviter l’effet carte postale. Ce dont convient le réalisateur Jean-Philippe Duval.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le réalisateur Jean-Philippe Duval

On jouait sur la fine ligne de l’émotion. Je ne voulais donc pas sombrer dans la mièvrerie et les bons sentiments. Je voulais quelque chose de vrai, d’intime et de puissant.

Jean-Philippe Duval

Un sentiment qu’il a partagé avec le directeur photo Yves Bélanger et la directrice artistique André-Line Beauparlant.

M. Duval dit que, sans le savoir, le peuple vietnamien lui a facilité la tâche. « Ce sont des gens sobres qui ont beaucoup d’histoire et ne se laissent pas impressionner facilement, dit-il. Ils sont peu démonstratifs. Cela nous a conduits à ne pas exagérer. »

Il a aussi voulu permettre à Anne Dorval de jouer dans un autre registre que ceux qu’on lui connaît. Il savait que la comédienne comptait déjà plusieurs rôles de mère à son actif et qu’on l’a « beaucoup entendue ». Il se réjouit du résultat.

« Je voulais la filmer dans des émotions très intimes et pour cela, il nous fallait être près d’elle, dit-il. Je pense que ça lui faisait du bien d’être dans la sobriété. Ici, sa grande finesse du jeu est au service d’émotions très complexes. »

14 jours, 12 nuits prend l’affiche le 6 mars.