Ça aurait pu l’être. Dur, dérangeant, par moments déchirant. Mais Sortir de l’ombre est aussi un film lumineux, plein d’espoir, non pas seulement sur la violence, mais aussi sur l’art de s’en sortir. La tête haute. Et tournée vers l’avenir.

« C’est l’histoire de femmes qui ont vécu de la violence conjugale, et qui ont puisé dans leur richesse intérieure pour guérir », résume la réalisatrice Gentille M. Assih, d’origine togolaise, qui signe ici son troisième documentaire, une incursion intimiste dans un quotidien méconnu (celui des femmes africaines, des mères, épouses, travailleuses et en prime immigrantes), en ligne à partir de mercredi, pile pour la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Mais elle insiste : ce n’est pas misérabiliste. « C’est une prise de pouvoir sur la vie, par la parole. » Une prise de pouvoir engageante, de surcroît.

Pas misérabiliste, en effet, quoique par moments un peu lent. Pour cause : la réalisatrice suit des femmes dans leur quotidien, dans tous ces petits riens qui constituent leur nouvelle vie ici, tantôt en train de pelleter, de cuisiner ou simplement de se confier. Une lenteur qui laisse toutefois place à des confidences-chocs, directement livrées à la caméra. Du genre (et notez la pointe d’ironie) : « Le mariage, c’est pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur pour le mari. Et le pire pour la femme… » Un second degré qui en dit long.

Fait à noter, l’entretien avec la réalisatrice et la principale protagoniste (Christiane Eméssé Kafui Zanou, à qui l’on doit cette perle de citation), rencontrées virtuellement la semaine dernière, s’est aussi fait dans une étonnante bonne humeur. Paradoxalement, oui, malgré la dureté du sujet, des faits qu’on devine et des gestes évoqués (quoiqu’avec une infinie pudeur), le sourire est toujours demeuré au rendez-vous. « Cela fait partie de notre trait de caractère », confirme la réalisatrice.

PHOTO FOURNIE PAR L’ONF

Gentille M. Assih, réalisatrice de Sortir de l’ombre

Même si on parle de choses difficiles, on a développé cette façon de rire de nos malheurs, une espèce d’autodérision, qui n’est pas de l’ordre du cynisme, mais qui permet de prendre du recul, et de garder une sérénité, pour supporter l’insupportable, comme on dit…

Gentille M. Assih, réalisatrice

Au départ, le film ne devait d’ailleurs pas vraiment porter sur la violence, cet « insupportable », dont il est pourtant question dès les premiers instants. La réalisatrice voulait au contraire raconter la vie de toutes ces femmes qui l’entourent, des battantes, des femmes éduquées, des mères accomplies, qui ont quitté leur Afrique natale pour refaire leur vie dans un nouveau pays. Et qui vivent toutes les embûches que l’on sait, retour à la case départ et autres micro-agressions qui composent le racisme systémique de leur quotidien. « Je voulais parler de ces femmes. […] Parce que c’est admirable de les voir, malgré tout, qui se tiennent debout. »

Or, en entamant sa démarche avec Christiane, la réalisatrice a vu son amie se fermer. Comme une huître. Littéralement « s’éteindre ». « Et ç’a été pour moi un choc : j’ai découvert les réelles souffrances de Christiane, pendant que le film se faisait. »

Précision : ces souffrances ne sont évidemment pas uniques aux femmes africaines, faut-il souligner. Mais elles revêtent une couche de complexité, disons, en situation d’immigration, d’intégration souvent difficile, bref de solitude, et de cellule familiale à protéger par-dessus tout. Impossible de le nier.

Ainsi donc, vous avez bien lu : quand on voit Christiane verser une larme à la caméra, et avouer « je n’ai pas réalisé que j’étais une femme battue », elle le réalise en direct, en quelque sorte. Idem quand on l’entend en remettre : « Je n’ai même pas réalisé que j’étais en danger, c’est ça le pire. » D’où le frisson, quand elle confirme que sa séparation (parce qu’elle a fini par se séparer, peu avant le tournage) était bel et bien « une question de vie ou de mort ».

IMAGE TIRÉE DU FILM PRODUIT PAR L’ONF

Christiane Eméssé Kafui Zanou, dans un extrait de Sortir de l’ombre

Gentille me donnait l’opportunité de parler. Au cours du tournage, j’ai affronté mes démons, et le film a été une thérapie. […] J’ai gardé le silence trop longtemps, et j’étais en train d’en faire les frais. Et la facture était salée…

Christiane Eméssé Kafui Zanou, principale protagoniste de Sortir de l’ombre

Mais au risque de nous répéter, non, le film n’est pas ici revanchard. Ce n’est pas une charge en règle contre les hommes. Tant s’en faut. Il s’agit tout simplement d’une prise de parole. Intime. Et personnelle. « Ce n’est pas un film sur la haine. Ce n’est pas une question de genre. Pour moi, il est plutôt question de permettre à des femmes qui veulent parler d’exprimer leurs émotions, reprend la réalisatrice. On m’a raconté beaucoup d’atrocités […], mais j’ai fait le choix de me concentrer sur le positif. J’ai fait le choix de mettre de l’avant le cheminement de ces femmes qui prennent la parole, et qui partagent leurs histoires pour aider les autres, pour informer, et pour guérir. »

Avec, au passage, entre des images d’un voyage au Togo et des discussions entre amis, un portrait très humain d’une communauté tissée serrée, solidaire et ô combien résiliente.

Sortir de l’ombre, réalisé par Gentille M. Assih, est diffusé à partir de ce mercredi sur le site de l’ONF, pour souligner la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

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