Cinquante ans après une première adaptation cinématographique, réalisée par William Friedkin, Joe Mantello propose sa version de The Boys in the Band, une pièce qui, à la fin des années 1960, fut la première à mettre en scène un groupe de personnages gais. Reconnu à titre de metteur en scène et d’acteur, lauréat de quelques Tony Awards, le cinéaste explique pourquoi il a voulu revisiter cette soirée d’anniversaire de 1968 qui tourne au vinaigre...

La pièce de Mart Crowley a été créée en 1968, à une époque où la communauté gaie était encore marginalisée et opprimée. Quand avez-vous vu The Boys in the Band pour une toute première fois ? Et quelle fut votre réaction ?

J’ai entendu parler de cette pièce une dizaine d’années après sa création, alors que j’étais adolescent. J’en connaissais le sujet, mais comme j’étais encore dans le placard à cette époque, je n’ai pas cherché à la voir, ni à voir le film qui en a été tiré. Ce n’est que vers 17 ou 18 ans, alors fièrement révélé à moi-même et étudiant dans une école d’art dramatique, que je l’ai enfin vue. Et je dois dire que j’en fus terrifié, dans la mesure où l’image qu’on donnait des homosexuels dans cette pièce relevait d’une autre époque et tous les personnages semblaient se détester intérieurement. En même temps, j’admirais les performances des acteurs. Quand Ryan Murphy [producteur de Hollywood et Ratched] est arrivé avec cette idée d’une nouvelle production sur Broadway, je n’étais vraiment pas certain de sa pertinence, car à mes yeux, cette pièce était une relique d’une autre époque. Je lui ai demandé : pourquoi veux-tu monter cette pièce-là ?

Avez-vous trouvé une réponse à votre question ?

Oui. Ryan a avancé un argument qui, pour moi, fut très éclairant. Il m’a dit d’aborder The Boys in the Band comme on aborderait une pièce classique, ce qu’elle est au demeurant, dans la lignée des pièces d’Edward Albee, par exemple. Cela m’a permis d’entrer dans cette pièce d’une façon que je n’aurais pu imaginer auparavant. À partir de là, tout s’est enchaîné.

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Jim Parsons, Robin De Jesus, Michael Benjamin Washington et Andrew Rannells dansent au son de Love is Like a Heatwave dans The Boys in the Band, un film de Joe Mantello.

Le spectateur devrait-il ainsi y voir davantage un drame d’époque ? Ou y voir plutôt une nouvelle pertinence dans le propos ?

Je crois d’abord avoir été complètement dans l’erreur en y voyant d’abord une relique d’une autre époque. Je crois aussi que la perception générale envers cette pièce est très datée. Or, j’ai cherché l’équilibre entre le fait que The Boys in the Band ait marqué l’histoire à titre de toute première œuvre à mettre en scène des personnages gais dans une œuvre destinée au grand public, et la raison pour laquelle cette pièce a traversé l’épreuve du temps. Il émane du texte de Mart Crowley une vérité universelle, non seulement sur l’identité homosexuelle, mais aussi sur la nature humaine, tout simplement.

Au cours des 50 dernières années, il y a eu du progrès dans la reconnaissance des droits de la communauté LGBTQ. Le mouvement vers la droite dans lequel bascule une partie de la société américaine risque-t-il de mettre ce progrès en péril, d’après vous ?

Ce progrès est dû aux luttes épiques qu’ont menées les générations qui nous ont précédés, et l’on se doit de le reconnaître. Il ne faut certainement pas tenir ces droits pour acquis, surtout pas en ce moment, avec ce qui se passe aux États-Unis. J’ai aussi l’impression que l’attention s’est détournée un peu et que ce sont maintenant nos sœurs et frères trans qui sont aux prises avec les mêmes problèmes auxquels les gais ont dû faire face. C’est flagrant. Nous devons en être pleinement conscients et les appuyer. Cela nous rappelle aussi que la liberté a un coût et qu’elle ne vient pas avec une garantie. Ce qui se passe présentement dans mon pays est tout simplement choquant.

The Boys in the Band comporte neuf personnages principaux, joués par des acteurs, Jim Parsons, Zachary Quinto, Matt Bomer notamment, qui ont déjà révélé publiquement leur orientation sexuelle. Était-ce important pour vous de réunir une distribution entièrement composée d’acteurs gais ?

Cela n’était pas l’intention au départ, car les auditions pour la nouvelle production de Broadway étaient ouvertes à tous, peu importe l’orientation sexuelle. Mais, très honnêtement, ce fut un véritable cadeau qu’on en arrive là. La chimie, la camaraderie, l’intimité que partagent un groupe d’hommes ouvertement gais a certainement eu une influence sur notre façon de travailler et sur le travail lui-même. La majorité des acteurs avaient déjà un lien très fort avec la pièce, très importante dans la culture théâtrale, mais aussi, d’évidence, dans l’histoire de la culture gaie.

Comment ont-ils réagi quand vous leur avez proposé de jouer dans cette pièce ?

Certains furent très enthousiastes dès le début, d’autres moins, à cause de l’image dont nous parlions plus tôt. Une chose est certaine, je n’ai pas eu à convaincre Jim [Parsons, l’interprète de Michael, celui chez qui a lieu la soirée d’anniversaire], mais il m’a quand même demandé pourquoi je le voyais dans ce personnage. Ayant travaillé avec lui souvent, je connaissais la profondeur de son talent. Je lui ai dit que personne n’avait encore vu cette facette de sa personnalité d’acteur, dont je connaissais bien l’existence. J’ai aussi dit que ce rôle serait l’équivalent pour lui de ce que Mary Tyler Moore a fait dans Ordinary People. Une vedette adorée du public qui, de façon plus inattendue, offre soudainement autre chose.

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Toute la distribution de The Boys in the Band entoure le réalisateur Joe Mantello et l’auteur Mart Crowley.

Votre adaptation cinématographique, qui réunit exactement la même distribution, est-elle en tous points conforme à la production que vous avez montée à Broadway en 2018 ? Ou voyez-vous ces incarnations comme deux entités différentes ?

Cela faisait partie du plan initial de remonter la pièce d’abord et de la porter au cinéma ensuite. Évidemment, le cœur de la pièce reste le même. Le récit se déroule en une soirée, dans l’appartement de Michael, quasiment en temps réel. C’est ce qui se passe aussi dans le film, mais le cinéma nous a permis de sortir de l’appartement, d’en montrer un peu plus, notamment dans les préparatifs et, au cours de quelques retours en arrière, quand les gars racontent leurs histoires.

L’auteur Mart Crowley est mort il y a quelques mois, mais vous avez quand même eu l’occasion de travailler avec lui. Était-il étroitement lié au projet ?

Il nous a donné sa bénédiction, mais il ne s’est pas impliqué dans le processus de répétition. Il nous a accordé sa pleine confiance. En revanche, il est venu voir la pièce à plusieurs reprises et il venait s’asseoir à l’arrière du théâtre avec moi. Il a également approuvé tous les changements que nous avons faits dans le scénario du film. Mart était là, comme un collaborateur bienveillant, et il aimait tout ce qu’on suggérait. Ce film lui est dédié.

The Boys in the Band (Les garçons de la bande en version française) sera offert sur Netflix à compter du 30 septembre.