Dans la nouvelle série Hollywood de Ryan Murphy, campée dans les années 40, il y a beaucoup de glamour, des intrigues de coulisses, du langage cru, du sexe, et des personnages issus de la diversité, à qui on a réservé des destins différents de ceux auxquels ils ont réellement eu droit à l’époque. Au cœur de cette imposante distribution, en ligne sous peu sur Netflix, trône la légendaire Patti LuPone. Entretien.

Au moment où elle se prête de bonne grâce à une entrevue téléphonique accordée à La Presse, Patti LuPone ne cache pas son inquiétude. Confinée dans sa maison du Connecticut, avec mari et fils, cette femme de scène, qui carbure à la performance, se demande bien quand et comment les arts de la scène pourront de nouveau avoir droit de cité. Surtout que le monde s’est arrêté alors qu’avaient lieu les toutes dernières répétitions de la reprise de Company. La grande première aurait dû avoir lieu le 22 mars au Bernard B. Jabobs Theatre à Broadway, soit le jour même du 90e anniversaire de naissance de Stephen Sondheim, auteur et compositeur de cette comédie musicale.

« Sur le plan personnel, tout va bien, confie-t-elle. Et je mesure bien la chance que j’ai de vivre dans un tel environnement. Mais je m’inquiète du sort du monde. Notre pays est dirigé par ce tr.. de c… de président qui ne fait que nous diviser encore plus que nous ne l’étions déjà. Personne ne sait comment on s’en sortira et j’avoue que ça fait peur. »

Hollywood, années 40

PHOTO FOURNIE PAR NETFLIX

Dans Hollywood, Patti LuPone incarne Avis Amber, un personnage fictif, qui doit prendre la direction du studio qu’a fondé son mari quand ce dernier ne peut plus assumer sa fonction.

Même si, comme des millions de gens, elle est en congé forcé pour une période indéterminée, Patti LuPone reste quand même dans l’actualité. Le diffuseur en ligne Netflix s’apprête à mettre en ligne cette semaine la série Hollywood, dans laquelle elle tient l’un des rôles principaux. Créée par le prolifique Ryan Murphy (Glee, Feud, Pose) et Ian Brenner, l’un des fidèles collaborateurs de ce dernier, la série est née d’une conversation qu’a eue Darren Criss avec le producteur lors d’un dîner d’après-gala. Dans la foulée du triomphe d’American Crime Story : The Assassination of Gianni Versace aux Emmy Awards, où les deux hommes ont fait le plein de trophées, l’acteur a émis le souhait d’une série se déroulant à Hollywood dans les années 40. Il a notamment évoqué les grands personnages de cette époque, dont plusieurs évoluaient dans les coulisses. Cela n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd.

« J’étais en train de tourner un épisode de Pose et l’un des collaborateurs très proches de Ryan — son bras droit, en fait — m’a invitée à aller manger alors que j’étais encore costumée, rappelle Patti LuPone. Il s’est mis à me photographier parce que, m’a-t-il dit, Ryan voulait m’offrir un rôle dans Hollywood. C’était la première fois que j’en entendais parler. »

Je ne peux rien refuser à Ryan. Ce qu’il fait est remarquable et il est l’un des rares à créer de véritables familles d’acteurs. Et puis, je l’aime tellement !

Patti LuPone, à propos du réalisateur Ryan Murphy

L’enthousiasme de l’actrice s’est accentué au fil de la découverte des détails de la série. Murphy et Brennan ont pris le pari de réviser complètement l’histoire de Hollywood en s’inspirant de faits réels, qu’ils détournent parfois de leur dénouement original. Que serait-il advenu, par exemple, si une actrice américaine d’origine chinoise (Anna May Wong) avait vraiment eu l’occasion de porter un film sur ses épaules ? Ou une jeune actrice noire ? Que serait-il arrivé si Rock Hudson, qui a caché son orientation sexuelle pratiquement toute sa vie avant de mourir du sida en 1985, s’était affiché sur un tapis rouge avec son amoureux en 1948 ? Et que serait-il advenu si une femme avait dirigé un grand studio dans les années 40 ? Dans Hollywood, Patti LuPone incarne Avis Amber, un personnage fictif, qui doit prendre la direction du studio qu’a fondé son mari (Rob Reiner) quand ce dernier ne peut plus assumer sa fonction.

« Mon personnage est très, très, très librement inspiré d’Irene Meyer, qui fut la femme de David O. Selznick [producteur d’Autant en emporte le vent] », explique celle qui est notamment lauréate de deux Tony Awards grâce à ses performances dans la production originale de Broadway d’Evita, la comédie musicale de Tim Rice et Andrew Lloyd Webber où elle jouait Eva Perón, et grâce aussi à la reprise de Gipsy.

« Mais à part le fait d’être l’épouse du patron, la comparaison s’arrête là, poursuit-elle. J’ai beaucoup aimé le fait que cette série soit authentique dans sa reconstitution, mais complètement révisionniste sur le plan historique. Ça indique à quel point les injustices — la discrimination, le racisme, l’absence de diversité — résonnent encore aujourd’hui. Cela dit, mon éducation cinématographique vient des films de cette époque, qui m’ont tellement fait rêver. J’aurais probablement adoré jouer dans les films des années 40, et probablement encore plus dans ceux des années 30 ! »

Glamour et sexe

Tous ces thèmes sont abordés dans un cadre des plus glamour — on n’a lésiné sur rien au rayon des décors et des costumes — et les intrigues font aussi souvent écho à la sexualité des personnages. Dans le premier épisode, on fait d’ailleurs la connaissance d’Avis Amber alors qu’elle se rend à la station-service Golden Tip où, en plus de faire le plein, elle demande d’aller à « Dreamland ». Voilà le mot de passe avec lequel les clientes — et clients — peuvent obtenir des services supplémentaires de la part des jeunes pompistes et mécaniciens, qui ont tous en commun le désir de percer dans la ville du rêve. Cette partie de l’histoire est en outre inspirée de celle de Scott Bowers, laquelle a notamment fait l’objet d’un documentaire : Scotty and the Secret History of Hollywood.

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Patti LuPone et David Corenswet dans la série Hollywood

Parmi les jeunes hommes offrant leurs services : Jack, un aspirant acteur (David Corenswet, révélé grâce à la série The Politician), et Archie (Jeremy Pope). Cet aspirant scénariste afro-américain est bien conscient des obstacles qui se posent devant lui dans un monde ségrégationniste, mais reste bien déterminé à se faire valoir quand même. Une scène assez saisissante fait d’ailleurs écho à l’histoire de Hattie McDaniel (Autant en emporte le vent), première comédienne noire lauréate d’un Oscar qui, en 1940, n’a pas eu l’autorisation d’aller s’asseoir avec les autres membres de l’équipe lors de la cérémonie. L’hôtel Ambassador, où se tenait l’évènement, avait à l’époque une politique d’interdiction d’accès très stricte pour les Noirs. Sous la pression du producteur Selznick, on a autorisé l’actrice à s’asseoir quelque part, loin, dans le fond de la salle…

En plus de Patti LuPone, Darren Criss, Jim Parsons (hallucinant dans le rôle de Henry Wilson, un agent ayant réellement existé), Holland Taylor, Laura Harrier, Jake Picking, Samara Weaving, Joe Mantello et Dylan McDermott campent les personnages principaux de cette série comptant sept épisodes.

« J’espère sincèrement que les gens seront divertis et qu’ils s’évaderont quelques heures en regardant cette série, lance Patti LuPone. Parce que c’est ce que j’aime faire, divertir les gens. Je suis montée sur une scène pour la première fois à l’âge de 4 ans et je me suis tout de suite rendu compte — je m’en souviens comme si c’était hier — qu’on me regardait en souriant et que j’étais libre de faire tout ce que je voulais sur une scène. Je ne suis jamais revenue en arrière. Plusieurs décennies plus tard, j’adore ce que je fais toujours autant. Mon envie de jouer et de performer ne s’est pas atténuée d’un cran. C’est pour moi un moyen de créer et de m’exprimer en tant qu’être humain. »

La série Hollywood sera offerte sur Netflix à partir du 1er mai.