Une quinquagénaire habitée par un sentiment d’abandon s’invente sur les réseaux sociaux l’identité d’une jeune femme de 24 ans. Et se fait prendre au piège des sentiments. Juliette Binoche est la vedette d’un film très actuel, qui aborde de front les nouvelles formes de liaisons dangereuses.

Sans rien divulgâcher, il y a dans le nouveau film de Safy Nebbou (L’empreinte de l’ange) une scène aussi révélatrice que cruelle. Qui illustre à quel point une femme d’âge mûr devient vite invisible dans le grand jeu de la séduction.

Dans Celle que vous croyez, Juliette Binoche prête ses traits à cette femme qui, larguée par son conjoint pour une amoureuse plus jeune, découvre les joies — et les pièges — d’une relation sentimentale virtuelle. Juliette Binoche, invisible ? Vraiment ?

« Je ne le vois pas comme ça du tout, a déclaré l’actrice au cours d’une rencontre de presse organisée en marge du festival de Berlin, où le film a été lancé. Cette femme vit l’abandon. En s’inventant un personnage sur les réseaux sociaux, elle trouve une façon de maintenir sa dignité, de se réapproprier son estime personnelle et d’éviter la douleur. Je ne crois pas qu’elle souhaite vraiment se rajeunir. Elle a plutôt envie de ne pas sombrer. Et il est vrai que les femmes plus mûres ne sont plus vues, plus regardées. C’est très ancré dans notre inconscient collectif. »

Tout de suite, Juliette

Le réalisateur Safy Nebbou, qui porte ici à l’écran le roman éponyme de Camille Laurens, a d’ailleurs pensé à Juliette Binoche dès l’écriture du scénario. Il estimait que l’actrice pouvait parfaitement traduire le désarroi d’une femme qui se laisse prendre au piège de l’amour virtuel avec un homme deux fois moins âgé qu’elle (François Civil).

« Juliette est d’abord et avant tout une grande actrice, explique-t-il. Elle a cette capacité de se fondre dans un personnage en faisant complètement oublier sa personne et son image publique. Dans ce film, elle joue le rôle d’une femme qui ne se trouve pas belle du tout, qui a une piètre image d’elle-même. Bien sûr, on peut se demander comment une aussi belle personne peut en arriver là, mais tout part du regard qu’on porte sur soi-même. Si ça se trouve, George Clooney a peut-être une piètre image de lui-même aussi ! »

Cette histoire d’une femme mûre qui s’invente une nouvelle identité — Clara, 24 ans — force la réflexion sur les nouvelles liaisons — parfois dangereuses — découlant de l’arrivée des médias sociaux. Ayant atteint la mi-cinquantaine, Juliette Binoche assume parfaitement son âge et ne voudrait retrouver sa jeunesse d’aucune façon.

« Quand on devient jeune adulte, on est souvent mû par cette volonté d’être accepté. La crainte de ne pas l’être est très grande, car on se connaît encore très peu soi-même. Je ne voudrais pas du tout retourner dans ma vingtaine, car, à mes yeux, vieillir, c’est conquérir. Il n’y a que le temps qui puisse donner la véritable liberté. Et puis, la beauté se transforme. On la ressent davantage de l’intérieur. Il faut avoir vécu des expériences pour évoluer sur le plan émotionnel. Apprendre à aimer, c’est aimer plus que des individus. Dans ce film, j’aime l’idée de cette femme abandonnée qui doit faire face à sa propre vérité. »

Fan d’Instagram

Dans le monde des réseaux sociaux, l’actrice apprécie principalement Instagram, parce que cette plateforme lui permet de faire connaître des parcelles de sa vie à celles et ceux qui veulent bien la suivre.

J’adore ça [Instagram] ! C’est un moyen ludique de partager des réflexions, des poèmes, des images avec des gens du monde entier. Mais ça n’a rien à voir avec ce qui se passe dans le film. J’y suis en tant que moi-même, sans fausse identité, et mon compte est accessible à tous !

Juliette Binoche

Safy Nebbou, qui, au moment où il était en train d’écrire son scénario, s’est fait piéger sur Facebook par une femme à peu près de la même façon que le jeune homme de son film (« Mais moi, je m’en suis rendu compte rapidement ! »), estime que Celle que vous croyez n’aurait pu être fait il y a 20 ans.

« L’arrivée des médias sociaux a changé la donne, dit-il. Nous sommes désormais spectateurs et acteurs de nos propres vies. On passe son temps à raconter ce qui nous arrive et à créer des stories qu’on met en scène comme des courts métrages. L’intérêt de ce film — et c’est ce qui m’a attiré vers cette histoire — est de voir cette femme mûre découvrir un monde qu’elle ne connaissait pas. »

Celle que vous croyez est ponctué de scènes où cette femme, qui compte écrire un roman, discute avec sa psychologue, interprétée par Nicole Garcia. La rencontre au sommet des deux actrices constitue d’ailleurs l’un des éléments forts du film.

« J’ai filmé toutes les scènes entre elles avec deux caméras, car je ne voulais absolument rien manquer de l’une ou de l’autre ! », a indiqué le cinéaste.

Le film prend l’affiche vendredi.