L’an dernier, cet acteur italien atypique a séduit la Croisette grâce à sa performance dans Dogman, le plus récent film de Matteo Garrone (Gomorra, Reality). Un prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes ne change peut-être pas le monde, mais dans le cas de Marcello Fonte, relativement peu connu jusque-là, si. Le sien, en tout cas…

Matteo Garrone, un cinéaste reconnu pour proposer des drames où la violence est illustrée de façon réaliste, a choisi Marcello Fonte pour tenir le rôle principal de son plus récent film parce que, au-delà des qualités d’interprète, il émane de l’acteur, dit-il, une « douceur ». « Son visage antique semble venu d’une Italie en train de disparaître », a-t-il aussi précisé.

Dans Dogman, Marcello Fonte prête ses traits atypiques à Marcello, un toiletteur pour chiens, adoré de toute la communauté habitant la modeste banlieue dans laquelle il vit. Son existence bascule le jour où un vieil ami, récemment sorti de prison, vient l’intimider en le forçant à entretenir avec lui une relation toxique.

Le jury du Festival de Cannes de l’an dernier, présidé par Cate Blanchett (duquel faisait partie Denis Villeneuve), a reconnu la puissance de sa composition en lui décernant le prix d’interprétation masculine, un laurier qui, dit-il, vient couronner des années d’efforts et de travail. Lors du festival de Toronto, nous avons eu l’occasion de converser un peu — avec l’aide d’une interprète — avec cet acteur qui a su trouver sa place.

Depuis ce soir du 19 mai 2018, alors qu’on vous a remis le prix sur la scène du Théâtre Lumière à Cannes, comment votre vie a-t-elle changé ?

Dans la foulée, j’ai dû recevoir une bonne vingtaine de scénarios à lire, alors que, auparavant, je devais pratiquement supplier à genoux pour obtenir de petits rôles ! Forcément, le regard des autres change, et pas seulement au sein de la profession. Soudainement, j’ai des nouvelles de cousins, de membres de la famille éloignée, d’amis dont je n’avais pas entendu parler depuis longtemps !

Pensiez-vous obtenir ce genre de reconnaissance un jour ? Être l’objet d’autant d’attention ?

Je crois sincèrement que chacun d’entre nous est une star à sa façon. Plus que ça, je dirais même que chacun d’entre nous est unique et renferme un monde à connaître, à découvrir. Il faut avoir le courage d’être soi-même, sans dissimuler sa nature. Cette attention, je l’ai attirée moi-même. Pendant 20 ans, j’ai tout tenté pour atteindre mon rêve. J’ai été celui qui s’est faufilé sur les plateaux, qui s’est rendu dans les loges pour parler directement aux réalisateurs et leur demander des rôles. J’ai été celui qui a mangé à même les restes des cantines de cinéma. J’ai aussi été celui qui a levé son cul très tôt le matin, plutôt que de se prélasser au lit jusqu’à 11 h en espérant que quelque chose allait miraculeusement tomber du ciel. J’ai également été celui qui s’est tenu au courant de tous les tournages qui avaient lieu à Rome. Je suis devenu vraiment bon pour m’infiltrer un peu partout !

D’où vient cette détermination de fer ?

Depuis mon enfance. J’ai toujours voulu faire partie du milieu du cinéma. Sans s’en rendre compte, ma mère m’a motivé en ce sens, car elle me demandait toujours quand j’allais enfin trouver un « vrai » travail. Plus elle me disait ça, plus j’avais la rage de réussir. Aujourd’hui, elle m’admire et elle joue avec moi ! Je lui ai même donné un petit rôle dans Asino Vola [Donkey Flies], un film que j’ai coréalisé avec Paolo Tripodi en 2015.

PHOTO ARTHUR MOLA, ARCHIVES INVISION/ASSOCIATED PRESS

Grâce à sa performance dans Dogman, Marcello Fonte a reçu l’an dernier le prix d’interprétation masculine du Festival de Cannes.

D’où vient ce désir d’être acteur au départ ? Et le besoin de tout faire pour y parvenir ?

La principale raison est d’avoir la possibilité de changer de peau. J’ai grandi dans un quartier pauvre de Reggio de Calabre. Jeune, j’ai eu des problèmes de drogue. Je ne pensais à rien d’autre qu’à me geler. L’art m’a sauvé la vie. Grâce à mon frère, qui s’y intéressait, j’ai pu être initié au théâtre, à la poésie, à la beauté. Ça m’a rattaché à la vie. Je suis aussi devenu bouddhiste.

Et comment vous y êtes-vous pris pour décrocher des rôles ?

À la fin des années 90, Nino Manfredi est venu tourner non loin de chez moi Une storia qualunque [Alberto Simone]. Nous avons alors eu l’occasion de sympathiser et il m’a obtenu un rôle de figurant. Le regarder travailler, apprendre de lui, ou même seulement respirer le même air revêt à mes yeux un caractère très précieux. J’ai fait beaucoup de figuration. Si, par chance, on devait donner une réplique drôle à dire à un figurant, je savais que j’en hériterais, parce que j’avais déjà une certaine réputation. J’étais celui qui en voulait beaucoup. J’étais aussi très fiable, je n’avais pas peur du travail et j’étais prêt à tout, quitte à rester très tard. Un petit rôle ici, un autre là, et j’ai pu faire ma place tranquillement.

Comment avez-vous décroché le rôle principal de Dogman et quelle a été votre réaction la première fois que vous avez vu le film ?

Matteo [Garrone] m’a vu jouer et il a voulu me rencontrer afin qu’on discute du personnage. Nous sommes tombés amoureux, on a fait l’amour, et six semaines plus tard, nous avons accouché de ce film ! [Rires] Le film que j’ai vu correspondait parfaitement à celui que je m’étais fait dans ma tête. Comme je suis un peu narcissique, je me suis bien aimé ! 

Dogman prendra l’affiche en version originale italienne sous-titrée en français le 21 juin.