De Seul contre tous, sorti il y a 20 ans, jusqu'à Climax, en passant par Irréversible, Enter the Void et Love, le cinéma de Gaspar Noé ne laisse personne indifférent. Son plus récent film met en scène des danseurs participant à une fête qui tourne rapidement au cauchemar. Nous avons joint le cinéaste à Paris.

Dès le début de votre film, on indique que Climax est un film français et fier de l'être. Que doit-on comprendre de cette profession de foi ?

Climax a été produit en France, avec un producteur français, financé avec de l'argent français et il met en vedette des danseurs-comédiens français. C'est un clin d'oeil, mais au final, je crois que ce film n'aurait pu être produit nulle part ailleurs. Sincèrement, je suis content de faire du cinéma en France. Il subsiste ici une façon différente de faire des films. J'ai grandi avec les films américains - Easy Rider, Deliverance, les films d'horreur -, mais aux États-Unis, les cinéastes sont maintenant davantage considérés comme des techniciens ou des fournisseurs de contenu commerciaux. Un film évalué non rentable ne peut pas être produit dans ce système. Lars von Trier ne pourrait rien faire aux États-Unis. En France, et dans certains pays européens, le culte du cinéma plus personnel existe encore.

Vous avez choisi de camper l'histoire de Climax en 1996. Pourquoi êtes-vous retourné plus de 20 ans en arrière ?

À cause de l'internet et des réseaux sociaux. Si j'avais situé l'intrigue à notre époque, tous les personnages auraient eu des portables à la main, et chacun aurait été enfermé dans sa propre bulle, occupé à envoyer des textos. On en aurait perdu l'aspect intemporel du récit. En fait, je souhaitais voir ce film comme une fable. Et puis, je n'ai plus 20 ans. L'utilisation de l'iPhone est tout à fait normale pour les gens des plus jeunes générations, mais j'ai toujours l'impression que tout le monde se promène en tenant la moitié de son cerveau dans sa main !

Quand on voit les instincts primitifs de vos personnages ressortir une fois que la fête bascule dans l'horreur, on pense pourtant à la violence des rapports humains qui s'exprime parfois sur les réseaux sociaux de nos jours...

Je dirais que dans l'histoire de l'humanité, l'homme a toujours été cruel, peu importe l'époque dans laquelle il vit. Quand on se retrouve en situation de danger, notre cerveau reptilien prend le dessus. Quand on y pense, les années 60 et 70 ont aussi été violentes, car marquées par la guerre du Viêtnam et la bipolarité d'un monde déchiré entre les systèmes communiste et capitaliste. Présentement en France, il y a des gens qui manifestent dans les rues et brûlent des voitures, mais j'ai quand même l'impression qu'ailleurs sur la planète, c'est encore beaucoup plus violent.

Climax a été tourné en 15 jours, sans scénario, en laissant le chaos et l'anarchie s'installer au sein d'une bande de danseurs, à qui vous avez demandé d'improviser. Comment vous est venue cette idée ?

Jeune, je me suis beaucoup nourri de films catastrophes comme La tour infernale et L'aventure du Poséidon. J'ai toujours été fasciné par ces films qui présentent des microcosmes de société. Tout va bien au début, mais ça vire à la catastrophe ensuite - Titanic fait partie de cette catégorie aussi - avec des êtres humains qui sont confrontés à leurs peurs les plus instinctives. Un autre rapport de force s'installe alors entre les gens. Dans les films américains, ce sont toujours les bons qui s'en tirent, ce qui est dommage. Je voulais explorer une dynamique de groupe et j'ai eu l'idée de faire appel à des danseurs qui se prêteraient à une répétition dans un bâtiment isolé. En l'espace d'un mois, j'ai pu convaincre des producteurs, obtenir les droits musicaux et j'ai trouvé le décor. Je dirais que ce film a été tourné dans la joie de l'urgence. Le résultat final est au-delà de tout ce que j'aurais pu imaginer.

Que voulez-vous dire par « joie de l'urgence » ?

J'ai dit aux danseurs qu'ils allaient faire la fête et je leur ai demandé de danser au meilleur de leurs capacités. Pour qu'ils puissent incarner leurs personnages dans la seconde partie du film, alors que tout dérape, je leur ai aussi montré des vidéos exposant des gens vraiment intoxiqués. Cela les a complètement allumés, car ils pouvaient s'éclater en toute liberté, d'autant que nous avons tourné par ordre chronologique. Dans la vie, la plupart d'entre eux dansent essentiellement pour s'éclater et n'en ont rien à foutre du cinéma. Mais ils ont été contents de faire ce film. Il n'y a pas eu une seule dispute ni devant ni derrière la caméra. Pour la première fois, j'ai pu réaliser un film sans tension, ni sur le plan financier ni sur le plan des relations humaines.

On dit souvent que vous aimez la provocation. La revendiquez-vous ?

Sincèrement, il n'y a que le spectateur qui reçoit le film qui puisse dire si ce qu'il voit est provocant ou pas. Je fais des films destinés à un public d'adultes. À mes yeux, ils ne sont pas plus provocants que ceux des cinéastes que j'aime, Fassbinder, von Trier et bien d'autres. Peut-être même moins !

Depuis sa présentation au Festival de Cannes l'an dernier, Climax semble suivre un parcours assez singulier.

Il a fait un carton en Russie et il est présenté un peu partout sur la planète ! Je ne m'attendais pas à un tel écho. Bien sûr, la trame sonore peut expliquer ce succès. Mais au-delà des pièces musicales, je crois que les spectateurs gardent l'image de la fête, bien que tout s'effondre et que la fin soit poisseuse. Ce film évoque les dangers d'une perte de contrôle, même si, avec les codes qu'on nous inculque depuis l'enfance, il devient parfois tentant et compréhensible de lâcher prise et de remiser son cerveau au vestiaire. Je ne porte pas de jugement là-dessus !

Climax a pris l'affiche le 1er mars.

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Une scène tirée de Climax, un film de Gaspar Noé