« You want it darker », chantait Leonard Cohen. « Plus sombre », c’est ce que DC Films semble avoir compris à la suite du succès de Joker.

Mais pas pour tous les personnages de la famille DC – Wonder Woman, Aquaman et The Flash vont rester sages. Le studio a cependant saisi que le public voulait voir un Batman qui peut rivaliser avec des criminels aussi dérangés que le Joker de Joaquin Phoenix. Dans cette relance des aventures du Chevalier noir, c’est The Riddler (le Sphinx, incarné avec brio par Paul Dano) qui tourmente Gotham.

On ne dit pas ici que la trilogie réalisée par Christopher Nolan était joyeuse comme un arc-en-ciel et que Scarecrow (Cillian Murphy), Joker (Heath Ledger) et Bane (Tom Hardy) étaient des enfants de chœur, mais The Batman, de Matt Reeves, n’est composé que de nuances de noir. Autant pour le ton que pour la palette de couleurs. Même chez le héros, il y a très peu de zones grises. En entrevue, Robert Pattinson, qui porte pour la première fois le costume de chauve-souris, indique que son Batman voit le monde de façon « très binaire » et que selon lui il n’y a que « des mauvaises personnes et des victimes ». Le traitement qu’il réserve aux gens malhonnêtes est donc sans équivoque : il les terrasse avec une violence encore jamais vue au grand écran. La règle de ne tuer aucun ennemi est toutefois toujours respectée.

C’est à peu près l’unique similitude avec ses prédécesseurs. Ce Batman travaille ouvertement avec les forces policières, mais il n’y a qu’avec James Gordon (excellent Jeffrey Wright) que la relation de confiance est réciproque. Bruce Wayne vit dans un manoir qui cache une Batcave, mais elle n’est pas peuplée de gadgets futuristes – il y a passablement de chauves-souris, cependant. Son équipement est davantage celui d’un détective obsessif. Plus de la moitié du récit de Matt Reeves et Peter Craig est d’ailleurs consacrée à la recherche d’indices, au décodage d’énigmes et à des entretiens avec des sources très peu volontaires. C’est délectable ! La référence échappera possiblement à ceux qui ne jouent pas aux jeux vidéo, mais l’impression d’être dans un jeu de la série Arkham est réelle. Les combats brutaux, les poursuites endiablées, les puzzles complexes, les lieux sombres, la pluie constante, le silence des ruelles… On pense aussi au film Seven, de David Fincher.

Les bas-fonds de Gotham

The Batman nous amène aussi pour la première fois au plus profond de Gotham. Là où le crime organisé, le politique et le législatif se côtoient. Bref, là où tout se décide. Dans un même lieu, The Iceberg Lounge, on peut voir le chef de la mafia Carmine Falcone (John Turturro, charismatique et intraitable), son homme de main Oswald Cobblepot (Collin Farrell méconnaissable en Penguin) et le procureur Gil Colson (convaincant Peter Sarsgaard).

PHOTO FOURNIE PAR WARNER BROS.

Batman (Robert Pattinson) et Catwoman (Zoë Kravitz) font équipe dans The Batman.

Serveuse dans cet établissement, Selina Kyle est témoin des manigances entre les tout-puissants de Gotham. Elle tente de passer inaperçue, mais un évènement l’oblige à plonger tête première dans ce milieu. C’est à ce moment que son chemin et celui de Batman se croisent. Le jeu de Zoë Kravitz est si précis qu’il rend tout à fait crédible la remise en question de Bruce Wayne, qui, en la rencontrant, découvre qu’une personne peut être à la fois hors la loi et en détresse.

Robert Pattinson incarne avec naturel le plus jeune Bruce Wayne vu jusqu’ici au cinéma. La mort de ses parents le hante toujours. Et il n’est pas le séducteur qui affiche sa fortune afin de camoufler sa double vie des autres films. Depuis deux ans, il vit de nuit et assouvit sa soif de vengeance sur tout le mal qui afflige sa ville.

Une réalité (trop) familière

La corruption gangrène Gotham au point où des individus, à l’instar de Batman, décident de prendre les choses en main. The Riddler est l’un de ceux-ci. Ses méthodes sont très théâtrales – l’inspiration demeure celle d’un personnage de BD créé en 1948 –, mais les résultats glacent le sang et se rapprochent tant de la réalité qu’ils en sont perturbants. Dans le dernier acte, on assiste à des attentats terroristes, des soulèvements d’extrémistes sur les réseaux sociaux, des attaques coordonnées… C’est beaucoup. Des spectateurs trouveront probablement que c’est trop. Surtout en cette époque.

Andy Serkis, qui interprète Alfred Pennyworth, nous mentionnait en entrevue virtuelle que « Gotham est une ville dystopique ». On a tout de même l’impression de bien la connaître. Ce réalisme est le résultat d’une facture visuelle extrêmement bien définie, d’une superbe trame sonore et d’un brillant montage son. Matt Reeves a rassemblé les pires éléments de notre monde et les a entassés dans une seule ville. Cette oppressante familiarité est captivante, certes. Elle est aussi un miroir (noir) dérangeant qui, au bout de trois heures, devient épuisant. Les films de superhéros n’ont pas à être légers, mais on s’approche dangereusement du point où l’on pourrait basculer, tels les vilains qui, à la fin, perdent tout le temps.

En salle

The Batman
(V.F. Le Batman)

Film de superhéros

The Batman
(V.F. Le Batman)

Matt Reeves

Avec Robert Pattinson, Zoë Kravitz, Paul Dano

2 h 55

8/10