Une voie ferrée filmée en noir et blanc dans un effet hypnotisant. Alors que défilent les premières images de Nulle trace, on s’attendrait presque à ce que la voix de Max von Sydow s’élève comme dans Europa, un autre film sur la transformation d’un monde, qu’a réalisé Lars von Trier il y a 30 ans.

Mais Simon Lavoie nous entraîne vite ailleurs, dans un pays jamais nommé longeant le fleuve, désormais sous le joug d’un pouvoir totalitaire que protègent des milices armées.

Pour son quatrième long métrage en solo, après Le déserteur, Le torrent et La petite fille qui aimait trop les allumettes (Lavoie a aussi coréalisé avec Mathieu Denis Laurentie et Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau), le cinéaste convie cette fois le spectateur à une expérience cinématographique d’une belle âpreté, sur le plan tant narratif que visuel.

Même si les deux personnages principaux de Nulle trace, un film qu’on situe dans un « futur proche », sont très isolés et qu’ils évoluent dans un décor naturel archidépouillé (magnifiques images de Simran Dewan), le poids d’un monde en pleine mutation, en proie à des dérives autocratiques, pèse lourd dans chaque plan. On ne saura rien de leur histoire passée ni de ce qui a fait que le pays se retrouve dans cette situation apocalyptique, mais le destin a fait que ces deux êtres ayant deux conceptions différentes de l’existence humaine se croisent aujourd’hui.

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Monique Gosselin dans Nulle trace, un film de Simon Lavoie

Il y a d’abord cette femme sans âge, visiblement marquée par la vie, qui survit en faisant de façon complètement détachée de la contrebande grâce à sa draisine, à laquelle elle tient comme à la prunelle de ses yeux. Prénommée N, cette dernière accepte en outre de conduire par la voie ferrée une jeune femme et son bébé à la « frontière », très surveillée, derrière laquelle l’attend le père de l’enfant. Une fois le contrat honoré, N compte retourner là d’où elle vient, mais elle se fait ravir sa précieuse draisine par des inconnus un soir de tempête.

Reprendre contact

L’univers que présente alors Lavoie pourrait aussi bien être celui qu’a décrit Cormac McCarthy dans son roman The Road que celui qu’a décliné George Miller dans sa série de films Mad Max. Plus aucune morale ne semble tenir et seule règne dorénavant la loi du plus fort. Dans ce monde où l’homme a perdu contact avec sa propre humanité, c’est ce lien avec elle-même que tente de retrouver N – probablement à sa grande surprise – qui, dans une cabane abandonnée au fond des bois, trouve refuge en prenant soin de son ancienne passagère, attaquée sauvagement près d’un ruisseau.

Pour se raccrocher et tenter de survivre dans une société revenue à un état primitif, l’une, complètement athée, est proactive, l’autre, pour qui la religion – musulmane dans ce cas-ci – est au cœur de tout, a recours à la prière.

De façon organique, avec très peu de dialogues, le cinéaste illustre ainsi une histoire de solidarité humaine à travers deux personnages situés aux antipodes sur le plan idéologique.

En jouant avec les cadres et en utilisant les outils du cinéma, Simon Lavoie évoque aussi dans son approche une pureté qui nous ramène à l’essence même de l’art cinématographique, lequel trouve aussi résonance dans le jeu réaliste des deux excellentes actrices, Monique Gosselin et Nathalie Doummar.

D’évidence, Nulle trace s’inscrit dans la frange la plus radicale du cinéma d’auteur et témoigne d’une approche sans compromis. La démarche est certainement courageuse, en ce qu’elle va complètement à l’encontre des standards habituellement imposés par ce qu’on appelle « l’industrie » du cinéma.

En salle dès ce vendredi

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Nulle trace, film de Simon Lavoie

Nulle trace

Drame de Simon Lavoie. Avec Monique Gosselin et Nathalie Doummar.

1 h 41

★★★½