À travers une histoire sensible et très simple, Gaël Morel parvient à évoquer tous les aspects de la condition humaine, qu'ils relèvent de l'intime, du social ou du politique. De surcroît, il nous propose un magnifique portrait de femme auquel Sandrine Bonnaire, présente dans tous les plans, prête sa grâce naturelle. La comédienne y trouve du même coup l'un de ses plus beaux rôles en carrière.

Édith (Sandrine Bonnaire) a 45 ans. Son existence tourne exclusivement autour de son travail d'ouvrière dans une usine de textile en province. Mondialisation oblige, l'entreprise qui l'a embauchée délocalise sa manufacture et la déplace au Maroc. Pour la forme, la direction offre alors à ses employés des postes dans l'établissement marocain, sachant très bien que personne n'acceptera de quitter la France pour aller travailler dans un pays étranger à des conditions moins avantageuses. Or, à la surprise de tous, Édith accepte.

Cette femme qui vit seule, loin d'un fils qui habite Paris et dont elle n'a pratiquement plus de nouvelles, voit dans cette proposition une occasion de « prendre le large ». Elle compte ainsi se refaire une nouvelle vie, plutôt que de rester chez elle à regarder la télé toute la journée, puisque les perspectives d'emploi pour les ouvrières de son âge sont désormais pratiquement nulles.

INVERSER LES RÔLES

La belle idée du film est d'envoyer cette femme dans un pays où elle subit le même traitement que celui réservé aux gens issus de l'immigration en France. Arrivant à Tanger sans presque rien, sinon une adresse et une valise, elle devra aussi manoeuvrer dans une société où elle ne maîtrise pas la langue locale, où elle connaît peu les codes, et où veillent aussi au grain des associations islamistes.

Même perdue et démunie, Édith construira néanmoins sa nouvelle vie, grâce notamment à Mina (Mouna Fettou), propriétaire divorcée de la pension où elle loge, avec qui les relations sont pourtant tendues au départ. C'est avec elle, et aussi avec le fils de cette dernière (Kamal El Amri), qu'Édith retrouvera un peu la notion de famille, disparue pour elle depuis longtemps en France.

En inversant les rôles de cette façon, Gaël Morel, dont les films précédents se sont rarement rendus jusqu'à nous, fait en outre écho au petit racisme ordinaire qui peut s'installer quand une société vit une situation économique difficile. Si le propos a une forte résonance sociale, le cinéaste, qui rend ici hommage au milieu ouvrier dont il est lui-même issu, n'en perd pas moins le sens du romanesque.

Le scénario, que Morel a coécrit avec l'écrivain Rachid O., joue la carte du réalisme social, mais tend aussi à ratisser plus « large », notamment en dressant le portrait émouvant d'une femme bien déterminée.

On pourra peut-être déplorer un dénouement dont la forme relève un peu trop du happy end, mais Prendre le large comporte de très beaux moments de cinéma, magnifiés par une interprète exceptionnelle.

Image fournie par AZ Films

Prendre le large

***1/2

Prendre le large. Drame de Gaël Morel. Avec Sandrine Bonnaire, Mouna Fettou, Kamal El Amri. 1 h 44

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