Il n'y a rien d'étonnant, et de plus répandu, que la médiocrité. Une réalité partagée par tous, car nous sommes tous médiocres en quelque chose. Il n'y a que le grand talent ou l'absence totale de talent qui peuvent frapper les esprits. Et Florence Foster Jenkins entre dans la deuxième catégorie. Ses interprétations écorchent l'oreille de façon si surprenante qu'on ne peut être indifférent. Car on ne peut être indifférent à l'authenticité.

C'est ce qui explique qu'on se prenne d'affection pour un chanteur comme Normand L'Amour, ou qu'on fasse d'Ed Wood, considéré comme le pire cinéaste de tous les temps, l'objet d'un culte. «Tout le monde triche», résumait le philosophe Jankélévitch à propos du bon goût. Mais on ne peut tricher en ce qui concerne l'authenticité, quand bien même nous offre-t-elle le pire de la musique.

Ainsi, Florence Foster Jenkins est un sujet en or pour le cinéma. Ou le roman, ou le théâtre. C'est un cas. On se dit au départ que les critiques de son époque ont peut-être exagéré, mais il suffit d'écouter un extrait de ses enregistrements pour constater que ça n'a pas de sens de se donner à ce point pour un si piètre résultat. Même le plus cancre des mélomanes ne peut se tromper: c'est vraiment mauvais.

Le cinéaste Stephen Frears s'attaque ainsi, en la personne de Florence Foster Jenkins, à une question plus profonde, aussi vieille que l'art, que le laisse paraître cette comédie portée par Meryl Streep, particulièrement en voix, surtout quand elle fausse.

Frears a un don pour magnifier des comédiennes d'expérience, comme Helen Mirren dans The Queen ou Judi Dench dans Philomena.

Nous entrons dans la vie de Florence Foster Jenkins peu de temps avant qu'elle décide de remonter sur les planches pour chanter de l'opéra. Pendant des années, son compagnon St. Clair Bayfield (Hugh Grant) l'a protégée du monde extérieur et des critiques. Elle ne se produit que devant les gens de ses multiples clubs, ne reçoit que de bonnes recensions (Bayfield les paie), si bien qu'elle se croit, totalement. Et s'emballe. 

Elle embauche pour ses spectacles un jeune pianiste, Cosme McMoon (hilarant Simon Helberg) qui découvre avec stupéfaction son manque de talent et qui s'inquiète pour l'avenir de sa carrière si tout le milieu musical finit par le voir en spectacle avec elle. Mais il ne peut s'empêcher de développer une affection pour cette dame naïve et passionnée. Ce que personne ne sait, c'est qu'elle combat une grave maladie, couvée par Bayfield, qui se dévoue pour elle, même s'il entretient une liaison en parallèle - sa relation avec Florence est une tendre et chaste entente.

La créature Florence Foster Jenkins s'échappe du laboratoire, si on peut dire, lorsqu'elle décide de faire un disque qui devient un succès, surtout parce qu'il fait rire les gens. Voilà qu'elle veut faire le Carnegie Hall, et Bayfield se rend compte du pétrin dans lequel il est plongé. Comment protéger Florence de la réalité? Que faire pour que sa bulle dorée n'éclate pas?

Pour ce rôle, Meryl Streep se donne à fond. Elle se montre plus vieille et plus ronde, se couvre de costumes ridicules, tous plus extravagants les uns que les autres. 

Et dans chaque scène où elle chante, on ne peut qu'admirer une performance qui a dû lui abîmer les cordes vocales. Ce ne serait cependant qu'un supplice s'il n'y avait pas Simon Helberg qui offre, en quelque sorte, le point de vue du spectateur. Il passe vraiment par toute la gamme des émotions, le pauvre, et renforce le rire inévitable qui s'empare de nous. Hugh Grant, tout en retenue, joue sa carte habituelle du dandy british, avec un soupçon supplémentaire de tendresse. Ils sont enrobés par tout le clinquant new-yorkais des années 40, qui alimente un monde de rêve et de fantasme, alors que nous sommes en pleine Seconde Guerre mondiale. 

Florence Foster Jenkins n'est pas qu'une comédie, c'est aussi un film poignant sur le courage, l'amitié et, oui, l'amour sincère de l'art. Difficile de résister.

* * * 1/2

Florence Foster Jenkins. Comédie dramatique de Stephen Frears. Avec Meryl Streep, Hugh Grant, Simon Helberg. 1h50.

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Image fournie par Les Films Séville

Florence Foster Jenkins