En août 2009, Jafar Panahi présidait le jury du Festival des films du monde de Montréal, un foulard vert noué au cou. Quelques semaines plus tôt, il avait été arrêté avec sa famille à Téhéran lors d’un rassemblement en hommage à une femme de 26 ans, Neda Agha-Soltan, tuée par balle lors d’une manifestation d’opposants au régime iranien.

Dans les journaux québécois, le cinéaste du Cercle et du Ballon blanc en avait appelé à la fin du régime de Mahmoud Ahmadinejad, réélu à la présidence dans la controverse, et de ses exactions. « Tout le monde sait que cette réélection n’est pas légitime, avait-il confié à mon collègue Marc-André Lussier. C’est une véritable insulte à l’intelligence. Le peuple n’est pas dupe. »

Panahi savait très bien ce qui l’attendait à son retour. On l’a empêché en février 2010 de se rendre au Festival de Berlin, où il devait être l’invité d’honneur. Quelques semaines plus tard, il a été emprisonné pour « propagande contre le système ». Après 77 jours de détention, il a entamé une grève de la faim – en plein Festival de Cannes, où il devait être juré – et il a été libéré sous caution une semaine plus tard.

Jafar Panahi a porté en appel sa condamnation à six ans de prison pour avoir voulu filmer les soulèvements populaires de la révolution verte. Pendant plus d’une décennie, il a vécu comme un prisonnier dans son propre pays, assigné à résidence, avec interdiction de quitter l’Iran, de parler aux médias et de réaliser ou de scénariser des films.

Jusqu’à ce qu’il soit de nouveau arrêté et incarcéré à la prison d’Evin, en juillet 2022, après avoir assisté à une audience au tribunal de son collègue cinéaste Mohammad Rasoulof. Toujours pour les motifs de sa condamnation de 2010.

Vendredi, Panahi a été libéré au terme de 200 jours de détention, après avoir entamé une grève de la faim.

« Je resterai dans cet état jusqu’à ce que, peut-être, mon corps sans vie soit libéré de prison », avait-il déclaré la veille. En octobre, la Cour suprême avait annulé sa condamnation et ordonné un nouveau procès, mais le cinéaste de 62 ans n’avait pas été libéré.

Le triste cycle de l’histoire se répète, pour Panahi et sa patrie. Depuis septembre, le régime iranien réprime dans la violence les manifestations en réaction à la mort de Mahsa Amini, 22 ans, arrêtée parce qu’elle n’aurait pas respecté le code vestimentaire imposé aux femmes iraniennes. Quelque 350 personnes, dont plusieurs femmes et enfants, ont été tuées par les autorités.

S’il a été libéré, c’est parce que Jafar Panahi a une renommée internationale. Il en est bien conscient. Il se sert de sa notoriété comme d’une arme, pour combattre le régime de l’intérieur. Aucun cinéaste n’a dénoncé avec plus de vigueur et d’aplomb, de manière plus frontale, le régime obscurantiste, homophobe, antisémite et misogyne de la République islamique d’Iran. Dans ses déclarations publiques comme dans ses films, célébrés partout dans le monde, mais interdits de diffusion en Iran.

Déjà, avec Le ballon blanc, jolie fable autour d’une fille de 7 ans qui lui a valu la Caméra d’or du meilleur premier long métrage à Cannes en 1995, Panahi dépeignait – grâce au scénario de son mentor de la Nouvelle Vague iranienne, le regretté Abbas Kiarostami – le machisme et les injustices de la société iranienne. Dans Le miroir, Léopard d’or au Festival de Locarno en 1997, il mettait en scène une autre fillette errant dans les rues de Téhéran, qui se heurtait à la ségrégation sexuelle.

Le cercle, Lion d’or à Venise en 2000, qui traite notamment de prostitution, est un réquisitoire vibrant, d’une formidable subtilité, contre la répression des femmes iraniennes. Offside, Ours d’argent à Berlin en 2006, dénonce tout autant le sexisme systémique de la société iranienne, autour de l’interdiction faite aux femmes d’assister à des matchs de soccer masculins depuis la révolution islamique de 1979.

Jafar Panahi a payé très cher son refus du silence et de l’exil. Depuis Ceci n’est pas un film (2011), démonstration par l’absurde des limites de la liberté d’expression dans un régime répressif, Panahi réalise ses films de manière clandestine.

Ses difficultés à filmer sont évoquées dans le récent No Bears, Prix spécial du jury à la Mostra de Venise en 2022.

Taxi Téhéran, Ours d’or à Berlin en 2015, le mettait aussi en scène, au volant de sa voiture, accueillant différents passagers, dont l’avocate spécialiste des droits de la personne et prisonnière politique Nasrin Sotoudeh, avec qui il a remporté en 2012 le prix Sakharov pour la liberté de l’esprit.

C’est un prix qui décrit bien Jafar Panahi. Il milite depuis toujours pour la liberté, la liberté d’expression, la liberté de l’esprit, dans un pays qui veut étouffer toute velléité de résistance. Il dénonce depuis toujours l’injustice, dans un pays qui en a fait son leitmotiv. Un pays qui est le sien, qu’il aime et qu’il ne veut pas quitter.

C’est un prisonnier de conscience, prêt à mourir pour ses idées. Il ne se taira pas. Tant qu’il aura accès à une caméra, il continuera de témoigner de ce qui se passe chez lui en Iran afin d’éveiller les consciences au drame qui s’y trame. Et certains osent dire que l’art ne sert à rien.