(Toronto) Il y a 10 ans, on trouvait sept longs métrages québécois dans la programmation du Festival international du film de Toronto. L’année précédente, il y en avait neuf. L’an dernier, à l’occasion d’une édition réduite — pandémie oblige —, il n’y en avait plus que deux : Les oiseaux ivres d’Ivan Grbovic et Maria Chapdelaine de Sébastien Pilote. Cette année de « retour à la normale », le TIFF n’en a sélectionné que trois.

« Il fut un temps où c’était presque un automatisme de se retrouver dans la programmation du TIFF avec un film québécois. C’est rendu beaucoup plus difficile. Je suis d’autant plus content que le film y soit présenté », me confie Stéphane Lafleur, qui présente son film Viking ce dimanche, dans la section compétitive Platform.

Le Coyote, deuxième long métrage de la Montréalaise Katherine Jerkovic, sera aussi projeté dimanche dans la section Contemporary World Cinema, qui accueille par ailleurs Falcon Lake, premier long métrage de la comédienne Charlotte Le Bon, dont la première mondiale a eu lieu en mai au Festival de Cannes.

Stéphane Lafleur n’en est pas à sa première visite au Festival de Toronto. Il y a été accueilli pour la première fois en 1999, à 23 ans, avec un film étudiant, Karaoke, qui a remporté le prix du meilleur court métrage canadien. Neuf ans plus tard, Continental, un film sans fusil, a remporté au TIFF le prix du meilleur premier long métrage canadien.

PHOTO ULYSSE LEMERISE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Stéphane Lafleur, en 2014

« C’est une longue histoire que j’ai avec le TIFF. Malgré la grosseur de l’évènement, [les programmateurs] réussissent à conserver un réel contact avec les cinéastes », dit Lafleur, qui salue au passage Steve Gravestock, vétéran de l’équipe du TIFF et champion du cinéma québécois, qui tire sa révérence cette année.

Grâce à la sélection en première mondiale de son quatrième long métrage à Toronto, Stéphane Lafleur complète en quelque sorte un grand chelem des quatre grands festivals de films de la planète. Continental, un film sans fusil avait été présenté en primeur à la Mostra de Venise en 2007, En terrains connus à la Berlinale en 2011 et Tu dors Nicole au Festival de Cannes en 2014.

L’auteur-cinéaste (par ailleurs chanteur du groupe folk Avec pas d’casque) est conscient de l’importance de ces grands rendez-vous dans la trajectoire de ses films. « Je ne fais pas des films avec de grosses vedettes. Qu’ils soient présentés dans les grands festivals leur permet ensuite de faire plus facilement le circuit des plus petits », m’explique le cinéaste de 46 ans, de passage six jours dans la Ville Reine pour faire la promotion de Viking, qui prendra l’affiche le 30 septembre au Québec.

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Scène tirée de Viking

La prémisse de son premier film en huit ans est aussi originale qu’intrigante. David (Steve Laplante), un professeur d’éducation physique, se porte volontaire pour participer à la première mission sur Mars de la Société Viking. Il ne sera pas envoyé sur la planète rouge, mais devra former avec quatre autres volontaires québécois une équipe B d’alter ego de véritables astronautes.

Ils vivront pendant plus de deux ans l’aventure en parallèle, grâce à une simulation dans un bunker reculé dans un paysage aride du Midwest américain. Leur mission confidentielle : anticiper et tenter de régler à distance les tensions, frictions et autres problèmes interpersonnels que rencontre la véritable équipe d’astronautes.

Pour les besoins de cette « mission sur Mars des pauvres », il faut qu’ils soient synchrones, jusque dans leurs interactions. C’est ainsi que David devient John, que Marie-Josée (Larissa Corriveau) devient Steve, et que le personnage incarné par Denis Houle (Monsieur Craquepoutte dans la série jeunesse Toc Toc Toc), une jeune femme surnommée Liz…

On ne s’étonne pas que l’équipe du TIFF ait sauté sur l’occasion de présenter Viking, dès que le film a été prêt en août. Cette tragicomédie douce-amère, dans le ton décalé habituel des films de Stéphane Lafleur (qu’il a coscénarisé cette fois avec Eric K. Boulianne), est foisonnante, captivante et subtilement subversive.

Au-delà de la délicieuse absurdité comique de sa trame narrative, Viking explore non pas les confins de l’espace, mais de la psychologie humaine, de la certitude au désenchantement, en passant par tous les stades du doute.

Steve Laplante est excellent dans le rôle de David qui, à défaut d’être un astronaute, aspire à devenir la doublure parfaite de John Shepherd. Il se prendra — plus que d’autres — à ce jeu particulier, dévoilant des pans de sa psychorigidité.

Dans sa mise en scène toujours aussi inventive et soignée, Stéphane Lafleur propose des clins d’œil au cinéma de science-fiction, en particulier à 2001 : Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, des séquences oniriques et des jeux visuels liés à la planète rouge. Le résultat est franchement réjouissant.

Le Québec à Toronto

Il y a des distributeurs qui ne tiennent pas à présenter leurs films au TIFF. S’y noyer dans une mer de films américains et internationaux ne leur semble pas très intéressant. Bien des cinéastes, en revanche, souhaitent cette présence prestigieuse pour leur film dans l’un des grands festivals de films du monde. Chacun ses intérêts. Ils sont parfois divergents.

Parmi les trois longs métrages québécois à Toronto cette année (sans compter Rosie, premier long métrage de la cinéaste métisse Gail Maurice, qui est campé à Montréal dans les années 1980), on trouve Le Coyote, deuxième long métrage de la Québécoise Katherine Jerkovic, qui avait remporté en 2018 le prix du premier long métrage canadien au TIFF pour Les routes en février.

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Scène tirée du film Le Coyote

C’est l’histoire d’un Montréalais dans la cinquantaine, d’origine mexicaine, qui souhaite retrouver du travail comme chef après avoir dû fermer son restaurant, Le Coyote. Il paie son loyer en faisant de l’entretien ménager la nuit dans des entreprises, puis envoie des CV. On devine peu à peu les raisons de ses déboires lorsque sa fille, avec qui il a rompu les liens, lui présente son jeune fils, qu’elle aimerait lui confier.

Jorge Martinez Colorado, que l’on a vu dans la série télé Le temps des framboises, incarne avec justesse cet immigrant déchiré entre son avenir professionnel — on lui propose un poste sur mesure à La Malbaie — et ses nouvelles responsabilités de grand-père.

C’est un portrait poignant et sensible de l’immigration québécoise, fait de scènes de la vie quotidienne, que propose Katherine Jerkovic grâce à ce film contemplatif et minimaliste. Un film qui puise son inspiration dans la réalité montréalaise, en présentant des personnages que l’on voit encore trop peu dans le cinéma québécois.