La frénésie habituelle de l’avant-pandémie avait regagné vendredi soir les abords du TIFF Bell Lightbox, quartier général du Festival international du film de Toronto. La raison ? Le passage au festival de l’une des plus grandes pop stars du moment. Non, pas Harry Styles, qui sera en ville dimanche pour le film My Policeman, mais Taylor Swift, venue présenter son court métrage et piquer une jasette avec le PDG du TIFF, Cameron Bailey.

« Taylor Swift est mon héroïne », pouvait-on lire (en anglais) sur une affiche manuscrite, rue King, où des dizaines de jeunes femmes, dans la vingtaine pour la plupart, faisaient déjà le pied de grue, quelque trois heures avant l’arrivée prévue de leur idole.

Il y avait encore moyen de dénicher des billets pour cet entretien devant public sur des sites de revente, vendredi matin… pour la modique somme de 1750 $. Le film réalisé par Taylor Swift, inspiré de sa chanson All Too Well, dure 13 minutes. Je me répète : ça fait cher la minute.

Sur le tapis rouge du film The Woman King de Gina Prince-Bythewood, j’ai aperçu en fin d’après-midi Viola Davis, Lashana Lynch et John Boyega, tous très élégants. Il y avait une foule bien compacte aux abords du Roy Thomson Hall pour les accueillir avec des cris stridents, téléphones à la main.

Le contraste était saisissant avec l’édition hybride de 2021, alors que le TIFF n’avait même pas pris la peine de fermer la rue King, renommée « Festival Street » ces jours-ci, à la circulation. « On se croirait à Hollywood ! », m’a dit (en français) un étudiant africain, arrivé à Toronto il y a six mois pour apprendre l’anglais. Il avait croisé Daniel Radcliffe (oui, oui, Harry Potter) le matin même dans un café.

Le Festival de Toronto n’a sans doute ni le lustre ni le prestige de ses principaux concurrents, Venise et Cannes, mais il a l’avantage d’être branché depuis longtemps sur l’humeur et les goûts du grand public. Ce n’est pas pour rien que le prix le plus connu du TIFF est justement celui du public, décerné à un film qui se retrouve habituellement aux Oscars.

C’est à Toronto que des films parfois snobés par d’autres festivals ou passés sous le radar de la critique (parce que considérés comme trop commerciaux ou sans grand intérêt cinématographique) ont commencé leur campagne aux Oscars : on pense par exemple à The King’s Speech, Argo ou encore Green Book.

Parmi les primeurs mondiales les plus attendues cette année à Toronto par le public comme par les journalistes, il y a bien sûr The Fabelmans, récit en partie autobiographique du plus grand des cinéastes populaires, Steven Spielberg, qui sera présenté ce week-end, tout comme Glass Onion, la suite du délicieux Knives Out de Rian Johnson.

PHOTO FOURNIE PAR LE TIFF

Scène tirée de Glass Onion

À Cannes en particulier, mais aussi à Venise ou encore Berlin, les films sont surtout présentés à la presse et à l’industrie du cinéma, avec une préférence pour ce qui a une valeur dite artistique. À Toronto, les journalistes semblent considérés comme un mal plus ou moins nécessaire. On ne fait aucun effort pour faciliter leur travail.

En Europe, les festivals sont placés sous le sceau d’un certain décorum, les tenues de soirée glamour, les smokings, etc. Ici, le nœud papillon est l’exception qui confirme la règle, même dans les projections du soir. À la présentation du film d’ouverture, jeudi soir au Princess of Wales Theatre, on proposait au public du popcorn. À Cannes, ce serait un sacrilège.

« On a le meilleur public au monde », se targuait Cameron Bailey, juste avant la projection du film The Swimmers, produit par Netflix, que la presse torontoise a décrit comme un crowd pleaser. Un film qui plaît au public. Le plus beau compliment que l’on puisse faire à une œuvre du TIFF, semble-t-il.

Au-delà du chauvinisme, Cameron Bailey n’a pas tort de dire que le public torontois est le « meilleur au monde ». Il est certainement celui qui est le plus prisé par l’industrie hollywoodienne sur le circuit des festivals.

« Le centre-ville de Toronto a, dirait-on, moins à offrir en termes de paillettes hollywoodiennes et d’élégance du Vieux Continent [que Cannes et Venise]. Le pouvoir du Festival international du film de Toronto, son arme secrète, c’est son auditoire : près d’un demi-million de Nord-Américains, de tous les âges et toutes les origines [qui remplissent ses salles pendant dix jours] », écrivait vendredi le très influent magazine spécialisé Hollywood Reporter. Le public du Festival de Toronto est en quelque sorte un auditoire-test pour les studios américains, grands et indépendants. Une jauge du potentiel des films aux guichets. Les préférences, les sensibilités et la propension du public torontois à remplir les sièges des salles de cinéma sont des données autrement précieuses que celles du public cannois, vénitien ou berlinois. En particulier en cette ère post-COVID, alors que le cinéma en salle en arrache.

S’il est vrai que le TIFF est considéré par l’industrie du cinéma davantage comme une rampe de lancement commerciale que comme une manifestation artistique, il ne faudrait pas pour autant oublier que le festival a conservé la tradition de son incarnation ancienne, le Festival of Festivals, en proposant quantité de films plus nichés ayant déjà été présentés à Cannes, Venise et ailleurs (chez le concurrent américain de Telluride, notamment).

Au premier jour du festival étaient présentés huit longs métrages que j’ai vus en mai à Cannes : Falcon Lake, de Charlotte Le Bon, la Palme d’or Triangle of Sadness, de Ruben Östlund, Moonage Daydream, excellent documentaire de Brett Morgen sur la vie de David Bowie, Holy Spider, Decision to Leave, RMN, Broker ou encore Pacifiction.

Jusqu’au 18 septembre, quelque 200 longs métrages et 50 courts métrages sont au programme du TIFF, au moins deux fois plus que l’an dernier. Vendredi, on présentait un ovni, Weird : The Al Yankovic Story, un faux biopic sur le chanteur frisé à lunettes et fantasque accordéoniste devenu célèbre dans les années 1980 avec ses parodies de succès populaires. Les plus de 40 ans se souviendront de My Bologna, Eat It, Another One Rides the Bus ou encore Like A Surgeon.

Evan Rachel Wood incarne d’ailleurs Madonna dans cette satire délirante mettant en vedette Daniel Radcliffe dans le rôle principal. Elle tentera de séduire Weird Al afin qu’il accepte de parodier ses chansons et relance ses ventes de disques.

PHOTO FOURNIE PAR LE TIFF

Quinta Brunson et Daniel Radcliffe dans Weird : The Al Yankovic Story

Weird Al Yankovic, qui a coscénarisé ce film de sexe, cartels de drogues et rock and roll avec le réalisateur Eric Appel, a voulu se moquer de toutes ces biographies filmées de rock stars qui se permettent toutes sortes de libertés avec les faits, telles que Rocketman ou Bohemian Rhapsody.

C’est réussi. On rit aux éclats en découvrant cet univers parallèle où la polka est la musique préférée des adolescents des années 1970, l’accordéon est perçu comme l’instrument du diable et où c’est Michael Jackson qui a composé Beat It pour parodier Weird Al, plutôt que le contraire.

Toute ressemblance avec le réel est fortuite, rappelle la vedette de la comédie culte des années 1980, UHF, présentée jeudi soir à Toronto. Pas sûr que j’aurais pu revoir ce film marquant de mon adolescence à la Mostra de Venise.