(Cannes) Vincent Lindon est sorti de sa suite de l’hôtel Majestic et m’a fait signe de l’attendre un instant avant de prendre l’ascenseur. Dans l’entrebâillement de la porte, j’ai aperçu son attachée de presse.

Le président du jury du 75e Festival de Cannes, qui s’ouvre ce mardi, voulait préciser sa pensée à propos d’un sujet particulièrement sensible : la faible représentation historique des réalisatrices en compétition cannoise.

« N’oubliez pas que j’étais dans Titane de Julia Ducournau, qui a reçu la Palme d’or de l’an dernier, et que je serai dans le prochain film de Claire Denis. Deux femmes cinéastes », a-t-il précisé, en mimant à mon attention le geste de quelqu’un qui prend des notes.

J’aurais difficilement pu l’oublier. Je venais justement de lui demander son avis sur la question… en parlant de ces deux réalisatrices. « Je trouverais honteux qu’on dise que ça manque d’hommes dans les palmarès », m’avait-il dit, en rappelant les récents prix remportés par des réalisatrices (Julia Ducournau à Cannes, Audrey Diwan à Venise, Carla Simon à Berlin, Jane Campion aux Oscars, etc.).

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Vincent Lindon, président du jury

« Ce n’est pas pour être lâche du tout, mais moi, je suis président du jury. Je ne suis pas sélectionneur », avait-il ajouté, en précisant que la représentation française en compétition à Cannes était à 75 % féminine (trois cinéastes sur quatre). « Vive la France ! », lui ai-je dit spontanément. « Et vive les femmes ! », m’a-t-il répondu.

L’exception française – celle qui confirme la règle – semble être devenue l’argument de choix à Cannes pour répondre à la question de la faible représentation féminine. Le délégué général du Festival, Thierry Frémaux, y a aussi fait référence une heure plus tard, en conférence de presse, lorsque la question lui a été posée (pas par moi cette fois).

« Je ne crois pas qu’il y ait si peu de femmes, a-t-il répondu, légèrement sur la défensive. Il y a 25 % de femmes dans la compétition, et il y a 25 % de femmes qui ont postulé à la compétition. »

Ce qu’il n’a pas précisé, c’est que l’ajout à la compétition il y a quelques semaines de films de deux réalisatrices, après des critiques dans les médias, a eu pour effet de faire grimper le pourcentage de femmes de 16 % à 22 %. Mieux vaut tard que jamais… On ne peut s’empêcher de penser, cela dit, que le délégué général se serait évité une nouvelle controverse à ce sujet s’il n’avait pas d’emblée annoncé seulement 3 réalisatrices sur 19 cinéastes en compétition, le mois dernier (il y en a désormais 4 sur 24).

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Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes

« Est-ce qu’on devrait décider de favoriser les femmes ? a-t-il demandé aux journalistes présents dans la salle du Palais des Festivals, cette fois sur l’offensive. Quelle est votre réponse : 50 % hommes et 50 % femmes ? Quel est le dogme ? Nous n’avons pas de règle. Il n’y a pas de quota. »

Le délégué général a souligné, avec raison, que cette faible représentation féminine était aussi une question de génération. Il y a plus de réalisatrices aujourd’hui qu’il y en avait il y a 50 ans, et donc peu de femmes de la génération de David Cronenberg (79 ans) sur le circuit des festivals. Il reste que chez certains des plus grands compétiteurs de Cannes, Berlin et Toronto, la sélection se trouve en « zone paritaire ». Ainsi, 7 des 18 films de la compétition de la plus récente Berlinale ont été réalisés par des femmes.

« Tous les prix de Cannes l’an dernier ont été remportés par des réalisatrices. Je ne l’ai entendu ni lu nulle part. Ç’aurait été bien de saluer cette évolution », a regretté Thierry Frémaux.

Peut-être que les journalistes étaient trop occupés à constater que Julia Ducournau était seulement la deuxième femme à remporter la Palme d’or en 74 ans d’histoire ?

« Nous sommes la conséquence, nous ne sommes pas la cause, dit Frémaux. Est-ce qu’on ne doit pas sélectionner un film parce qu’il est réalisé par un homme ? On n’arrive pas à avoir un débat normal ! » Il me semble tout à fait normal, au contraire, que dans ce débat, on ne soit pas tous d’accord.

Heureusement, les choses changent, souligne Thierry Frémaux, citant en exemple son propre comité de sélection, où les femmes sont désormais majoritaires, les jurys, qui sont devenus paritaires sous sa gouverne, ainsi qu’une salle du Palais des Festivals, qui a été rebaptisée la semaine dernière la salle Agnès Varda.

Il n’empêche que la question de la parité, tout à fait d’actualité, semble l’irriter. « Je trouve dommage que le débat soit le même qu’il y a 10 ans. On parle des femmes en mai à Cannes, chaque année. J’aimerais qu’on en parle toute l’année. » Là-dessus, on est bien d’accord.

Un jury paritaire

Le jury présidé par Vincent Lindon sera paritaire (quatre femmes, cinq hommes). Et c’est avec un enthousiasme manifeste et une grande fébrilité que le comédien français s’apprête à profiter de l’un des « plus grands climax » de sa vie, dit-il. « Je suis très heureux et très fier. Je ne ferai pas le faux modeste. C’est un gros cadeau. C’est une consécration. Quoi de mieux après ? C’est le meilleur job au monde ! Je vais essayer de profiter des plus belles vacances culturelles et intellectuelles de ma vie. »

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Le jury présidé par Vincent Lindon

Je me souviens de la fête qui a clos le Festival de Cannes en 2015. Je discutais informellement du palmarès avec le président sortant du Festival, Pierre Lescure, et Vincent Lindon est arrivé, encore tout ému d’avoir reçu une Palme d’interprétation pour son rôle dans La loi du marché de Stéphane Brizé. C’était sa première récompense d’une telle envergure.

Prend-on encore plus la mesure de l’importance du rôle de président du jury de la compétition de Cannes lorsqu’on s’est déjà retrouvé du côté des lauréats ? lui ai-je demandé. « J’ai hâte de me retrouver dans cette pièce au moment des délibérations, pour découvrir comment ça se passe. Je vais vivre une expérience schizophrénique, je crois. »

L’acteur, qui succède au réalisateur Spike Lee à la présidence du jury, dit vouloir découvrir les films avec un regard d’enfant, en se laissant toucher d’abord au cœur puis à la tête, sans préjugés ni a priori. Et en se disant que tout peut arriver. Si sa fille ou son frère lui avaient prédit, avant le Festival de Cannes l’an dernier, que Titane obtiendrait la Palme d’or, il se serait inquiété pour leur santé mentale, dit-il en riant.

« Décerner une Palme d’or, c’est une grosse responsabilité. Le ou la cinéaste qui l’obtient est sûr de travailler pour le restant de ses jours. C’est lourd de sens. Je prends ce job très au sérieux. J’adore le cinéma. » Ça tombe bien.