À chacun ses préférences. Je ne suis pas un amateur de comédies musicales, comme je ne suis pas un adepte de films d’horreur. C’est-à-dire que ce genre ne m’attire pas tellement, même s’il y a des œuvres que je sais bien sûr apprécier.

Il n’y a pourtant pas un film que j’ai vu plus souvent, dans mon enfance, que The Sound of Music. Je suis tombé sous le charme irrésistible des Parapluies de Cherbourg et j’ai été ému par Dancer in the Dark. Je sais reconnaître les qualités de Moulin Rouge ou de La La Land et différencier une comédie musicale réussie (Tick, Tick… Boom !) d’une comédie musicale ratée (Dear Evan Hansen).

« Ce que je n’aime pas, c’est quand ça chante et que ça danse… » J’ai fait cet aveu à voix haute en arrivant à la projection de presse de West Side Story en début de semaine. Ce qui m’a valu, évidemment, quelques rires de collègues. Autant être conscient de ses préjugés.

Pourquoi je n’aime pas particulièrement les comédies musicales ? J’ai regardé le nouveau film de Steven Spielberg en tentant de trouver des réponses à cette question.

J’ai de loin préféré cette nouvelle adaptation du célèbre spectacle de Broadway à celle de 1961, réalisée par Robert Wise et Jerome Robbins, qui a remporté l’Oscar du meilleur film. Et pas seulement parce que la réalisation de Spielberg est supérieure en tous points. Il injecte une bonne dose de cinéma à ce qui s’apparentait davantage, à l’origine, à une captation de spectacle de scène.

La version de Spielberg, sans renier celle de 1961 à laquelle elle est restée plutôt fidèle, propose plus de chair autour de l’os. Les personnages sont plus crédibles et ont davantage de profondeur. Les immigrants portoricains parlent l’espagnol, et leur accent latino, lorsqu’ils s’efforcent de parler l’anglais (pour mieux s’intégrer à la société d’accueil), est beaucoup moins caricatural. On comprend mieux pourquoi les Sharks protègent leur communauté et d’où viennent les Jets, leurs rivaux des gangs de rue du quartier.

Le scénariste Tony Kushner a ajouté des personnages qui apportent certaines nuances au récit : un adolescent non binaire qui espère intégrer les Jets, une propriétaire portoricaine (Rita Moreno elle-même, la révélation du premier film, qui tient désormais boutique chez Doc’s, dont elle est la veuve).

Le West Side Story de Spielberg aborde de manière plus directe les tensions raciales et les enjeux de classes sociales dans ce quartier de Manhattan en voie d’embourgeoisement, même s’il était déjà question du « privilège blanc » dans le film original, il y a 60 ans.

Ce Roméo et Juliette des années 1950, dans un quadrilatère de New York voué à disparaître – où se trouve désormais le Lincoln Center, qui abrite notamment le Metropolitan Opera –, ne prend pas davantage de libertés avec le drame shakespearien qui l’a inspiré. Deux jeunes de milieux différents tombent amoureux au premier regard. Il ne leur faut pas plus de 48 heures pour se dire prêts à mourir l’un pour l’autre, quasi imperméables aux rivalités entre leurs deux clans et aux conséquences tragiques de la violence que leur union jugée impossible engendre.

Ils n’ont beau être que des adolescents, Maria (Rachel Zegler) aussi mignonne qu’Anton est magnétique – Ansel Elgort rappelle le Stanley Kowalski de Marlon Brando –, j’espérais que Steven Spielberg réussisse à me faire davantage croire à l’intensité de cet amour instantané que Wise et Robbins avec Natalie Wood et Richard Beymer en 1961. Ce n’est pas le cas. J’adhère plus aux conventions de la tragédie grecque sur scène qu’au cinéma, il faut croire.

Ce n’est pas ce qui explique la raison pour laquelle je n’aime pas particulièrement les comédies musicales. Si je n’arrive pas exactement à mettre le doigt dessus, ça se résume malheureusement à ce que j’avouais au début.

La combinaison du chant et de la danse au cinéma, à trop forte dose, m’indispose. Les chants en canon de trémolos lancinants à l’appui de chorégraphies tournoyantes avec crescendos de jazz hands me semblent souvent interchangeables. Et au cinéma, on ne trouve guère plus souvent cette combinaison à l’écran que dans West Side Story.

Malgré la maestria de Steven Spielberg, malgré ces personnages mieux esquissés, vers la fin de West Side Story, je me suis mis à tortiller sur mon siège, espérant la fin des hostilités. C’est-à-dire non pas la fin de la violence de bandes rivales, mais celle de ces séquences (interminables à mon sens) où des personnages exécutent des chorégraphies synchronisées, virevoltant dans les airs, en chantant des ritournelles en roulant des « R ».

Sacrilège, direz-vous, en référence à la musique de Leonard Bernstein et aux paroles de Stephen Sondheim. Je sais bien. J’aime mieux, à tout prendre, West Side Story en version symphonique. Je ne saurais dire pourquoi, mais pour moi, la musique de Bernstein se gâte lorsque des comédiens se mettent à chanter et danser.

Aussi, malgré toutes ses évidentes et indiscutables qualités, le West Side Story de Spielberg reste pour moi l’adaptation cinématographique plutôt conventionnelle d’une production de scène de Broadway, avec des moyens hors du commun, pour ne pas dire disproportionnés.

Si je creuse un peu plus ce sillon, ce n’est pas tant le combo chant et danse qui m’irrite au grand écran que la mise en scène pour le cinéma de show tunes et de chorégraphies typiques de Broadway.