Commençons par le commencement. Le film s’intitule Aline. Pas Céline. Aline. Dans cette comédie légèrement décalée, inspirée très librement de la vie de Céline Dion, une comédienne française de 50 ans incarne une version de notre diva nationale… alors qu’elle est une fillette.

C’est-à-dire que le visage de Valérie Lemercier, la scénariste, réalisatrice et actrice principale d’Aline, est juxtaposé au corps d’une enfant, dans le Québec des années 1970. On peut trouver ça bizarre, risible, ridicule, mal avisé ou de mauvais goût. Il reste que ça donne immédiatement le ton du film, qui n’est pas, manifestement, une œuvre réaliste ou naturaliste.

Une adulte joue une enfant. C’est une convention, comme au théâtre. En ce moment au TNM, dans Les reines, de Normand Chaurette, Sophie Cadieux interprète une adolescente qui prétend avoir 12 ans et Sylvie Léonard, une duchesse de 90 ans.

On appelle ça la suspension consentie de l’incrédulité : accepter, pendant le moment que dure une œuvre, la proposition d’un artiste, aussi invraisemblable ou incongrue qu’elle puisse sembler.

Je suis le premier à reprocher à une biographie filmée classique, se présentant comme telle, de prendre des libertés avec l’histoire, en offrant une image distordue des évènements. Parce qu’il y a un danger qu’une interprétation erronée des faits dans un biopic ne se substitue à la réalité, dans l’esprit du spectateur.

Valérie Lemercier ne prétend d’aucune manière être fidèle à la réalité factuelle de la vie de Céline Dion. Elle s’est inspirée du parcours atypique de Céline pour créer un personnage hybride, en hommage à l’artiste de Charlemagne. À l’instar de Gus Van Sant dans Last Days, inspiré par des derniers jours de Kurt Cobain, sans en être le compte rendu exact et précis.

A-t-on reproché à Todd Haynes le manque de réalisme de sa biographie onirique de Bob Dylan, I’m Not There, qui mettait notamment en scène une femme (Cate Blanchett) dans le rôle du poète ? Et pourtant, Roc Lafortune y tenait aussi un rôle…

Ce n’est pas seulement parce qu’au Québec, on aime les prénoms composés à la Louis-José et Jean-René que des personnages de Valérie Lemercier se prénomment Jean-Bobin et Guy-Claude. C’est pour souligner à gros traits qu’Aline est un faux biopic. Que les personnages sont fictifs et que les faits rapportés ne sont pas scrupuleusement véridiques.

Valérie Lemercier a embrassé sa licence artistique. Elle a pris des libertés, bien sûr, mais en affichant clairement ses couleurs. Aline n’est pas une biographie filmée conventionnelle. Ce ne pourrait être plus évident. On ne s’étonnera donc pas que Céline Dion, contrairement à Aline Dieu, ne soit jamais sortie d’une fenêtre en robe de mariée, ou qu’un personnage fictif au prénom improbable ne soit pas l’auteur véritable de la chanson qui a lancé sa carrière.

On ne s’étonnera pas davantage que la famille de Céline Dion ne soit pas ravie par cette proposition cinématographique, comme on a pu le constater mardi sur le plateau de Julie Snyder. L’entourage d’une personnalité publique est rarement satisfait du traitement d’un biopic, sauf lorsqu’il s’agit d’une hagiographie autorisée et javellisée.

J’aurais pu commencer par un autre commencement : Aline n’est pas un grand film, tant s’en faut. Mais ce n’est pas du tout la catastrophe appréhendée ou l’insulte au Québec décriée par Claudette Dion. C’est une sympathique comédie « à la française », qui m’a fait penser au Jean-Philippe de Laurent Tuel, avec Fabrice Luchini en admirateur de Johnny Hallyday.

C’est autant un film sur le rapport de Valérie Lemercier à Céline Dion que sur Céline Dion elle-même, pour qui l’actrice et cinéaste a, de toute évidence, non seulement de la fascination et de l’admiration, mais aussi beaucoup d’affection.

Non, elle ne passe pas sous silence les éléments du mythe auxquels nous avons tous été abreuvés depuis des décennies. Aline dort enfant, comme Céline, dans un tiroir de commode. Aline n’avait pas une belle dentition à l’adolescence, comme Céline, lorsqu’elle a rencontré son Pygmalion. En revanche, Céline, contrairement à Aline, n’avait pas de maquilleur gai, a noté le frère et ex-régisseur de la chanteuse, Michel Dion…

Ce que l’on reproche à Valérie Lemercier, ce n’est pas seulement d’avoir pris des libertés. C’est de s’être approprié un personnage de la mythologie populaire québécoise au profit d’une œuvre de fiction dont elle est l’auteure et la vedette, alors qu’elle est française et ne maîtrise pas l’accent québécois.

Il faut pourtant aller au-delà de l’accent dissonant de Valérie Lemercier. Il fait, lui aussi, partie de la convention du film. Si la cinéaste n’avait aucune considération pour la québécitude du récit qu’elle a choisi de mettre en scène, elle n’aurait pas embauché des comédiens québécois.

Qu’on le veuille ou non, Céline ne nous appartient pas. Elle a beau être née au Québec, elle a vécu aux États-Unis pour l’essentiel de sa carrière et c’est en France qu’a été révélé le plein potentiel de son registre artistique, grâce à D’eux, écrit et réalisé par Jean-Jacques Goldman.

La « fierté de Charlemagne » est universelle. Céline Dion est un caméléon, qui sait s’adapter pour plaire. Elle a appris à le faire dès le plus jeune âge. Elle prend un accent plus pointu – qui n’est pas si loin de celui joué par Valérie Lemercier – lorsqu’elle est en entrevue à Paris, s’adapte au style Oprah de la confidence contrôlée pour les médias américains, puis mord à pleines dents dans le joual lorsqu’elle est en représentation chez nous.

Le semblant de polémique autour de la sortie, vendredi, du film de Valérie Lemercier est un rappel s’il en faut de notre difficulté collective à accepter qu’un point de vue sur nous de l’étranger – en particulier français – ne soit pas indiscutablement flatteur et sans aspérités. Ne touchez pas à notre Céline !

Aline n’est pas tout à fait Céline. C’est une fantaisie. Un pastiche ou une caricature, peut-être, mais ni une satire ni une parodie. Le ton de Valérie Lemercier n’est pas à la dérision ni à la moquerie. Il n’est ni méchant ni condescendant. Son film est, bien au contraire, une œuvre qui transpire la bienveillance. On y trouve même des scènes touchantes, comme celle où Aline, désemparée et sans repères, déambule dans les rues de Las Vegas au son de Going to a Town, de Rufus Wainwright. « I’m so tired of you, America… »

Je suis l’antithèse d’un amateur de Céline Dion. Je n’ai pourtant pas boudé mon plaisir devant cette comédie divertissante, comique et amusante. Aline est un film flamboyant, extravagant, rococo, kitsch, fleur bleue, sirupeux, romantique, mélodramatique, tragicomique. C’est surtout un film qui ne se prend pas au sérieux. Exactement comme Céline Dion.

Comme l’aurait dit (ou pas) Maman Dion, si on ne vaut pas une risée, on ne vaut pas grand-chose…

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