L’acteur et réalisateur français Mathieu Amalric replonge dans l’univers éclectique du musicien et compositeur John Zorn. Avec Zorn III (2018-2022), son troisième film sur le créateur new-yorkais, il s’intéresse à la relation entre Zorn et une interprète, sa compagne Barbara Hannigan, qui doit se mettre en bouche une partition particulièrement complexe.

Mathieu Amalric est fasciné par le travail des chanteurs et musiciens en général, qu’il n’hésite pas à qualifier de « génies créatifs », et par le travail du compositeur d’avant-garde new-yorkais John Zorn en particulier, qui a touché à tous les genres – de la musique punk au free jazz en passant par la musique klezmer, classique ou expérimentale.

Pour ce troisième film consacré à Zorn – présenté samedi dans le cadre du Festival international du film sur l’art (FIFA) –, il a voulu s’attarder à un « détail », nous confie-t-il lors d’un entretien par visioconférence. Celui d’un interprète qui reçoit une partition et qui se dit, en lisant les premières lignes : « What the fuck ? », illustre-t-il.

PHOTO VALERY HACHE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Mathieu Amalric, que l’on voit ici à Cannes lors de la présentation de son film Serre-moi fort en 2021, a réalisé trois films sur John Zorn.

Je voulais montrer le choc que tous les musiciens vivent lorsqu’ils entrent dans le monde de John Zorn.

Mathieu Amalric

Le hasard a fait que John Zorn a écrit une pièce, Jumalattaret, inspirée des déesses païennes finlandaises, et qu’il l’a proposée à sa compagne (depuis 2015), Barbara Hannigan, soprano canadienne. Les deux artistes se connaissaient, mais n’avaient jamais travaillé ensemble.

De son côté, Mathieu Amalric, qui avait fait la connaissance de John Zorn en 2008 – il a interprété sur scène une des voix de l’adaptation musicale du Cantique des cantiques –, a été invité à filmer plusieurs projets du compositeur américain.

La collaboration entre Zorn et Hannigan lui est apparue comme un filon prometteur pour ce troisième opus.

« Il y a cette correspondance entre les deux qui est très belle et franche, souligne Mathieu Amalric. Barbara se sent incapable de mener le projet, John lui répond : “ce sera pour une prochaine fois alors…” Puis elle lui dit : “attends !” Elle doit modifier ses habitudes de travail. Va-t-elle y arriver ? Tout part de là. »

Cette tension est palpable dans le film de Mathieu Amalric, qui passe des répétitions de Barbara Hannigan avec le pianiste Stephen Gosling aux séances de travail de John Zorn, jusqu’à la réunion de Zorn et Hannigan à Lisbonne pour discuter des détails – et des écueils – de la pièce Jumalattaret, qui sera ultimement présentée à Hambourg.

IMAGE TIRÉE DU FILM JOHN ZORN III (2018-2022)

Barbara Hannigan

Il y a des passages un peu techniques – on rajoute une note ici, on augmente le tempo là ou on baisse cette portée-là d’une octave –, ce qui ne nous empêche pas d’apprécier le travail créatif de ces artistes, qui savent s’ajuster à la seconde.

« Il ne faut pas oublier que ces films sont projetés dans le cadre des marathons musicaux de John Zorn, insiste Mathieu Amalric. Ils sont montrés au public qui vient voir ses spectacles, donc c’est sûr que c’est très précis, mais je pense qu’on peut quand même trouver inspirants ces moments de travail intimes entre musiciens. »

Nous soumettons à Mathieu Amalric qu’il s’agit aussi d’un acte d’amour, vu qu’il filme son amoureuse – il l’avait d’ailleurs filmée dans Music Is Music en 2017.

C’est sûr qu’il y a de l’amour, mais ce film est très professionnel. J’ai filmé Barbara dans C’est presque au bout du monde, un film de 15 minutes où je me demandais d’où sort la voix d’opéra, et là on peut dire que c’était amoureux ! Mais j’ai filmé deux personnes que j’aime, oui. Je n’aurais jamais imaginé filmer sinon.

Mathieu Amalric

Mathieu Amalric, qui ne pourra présenter son film à Montréal au FIFA en personne, travaille actuellement sur le tournage d’un autre documentaire sur le quatuor américain Emerson, qui donnera son dernier concert à Paris le 7 octobre, avant de faire ses adieux à New York en novembre.

IMAGE TIRÉE DU FILM JOHN ZORN III (2018-2022)

Barbara Hannigan et John Zorn

Il poursuit ses projets de films – à titre de réalisateur – en s’inspirant de la démarche des musiciens. « C’est qu’ils vont dans des zones de danger stupéfiant, alors je m’inspire de la rigueur de la musique dans mon cinéma. Dans le sens où il y a un travail de préparation énorme, mais au moment de la performance, il y a une espèce de lâcher-prise, d’animalité et de présence pure. »

Il aimerait réaliser une adaptation de L’homme sans qualités (de Robert Musil), « un roman inachevé de plus de 2500 pages ! », précise-t-il en riant, mais ne tourne pas le dos au jeu – quand on lui offre des cadeaux. Comme ce rôle dans le prochain film de Nanni Moretti (Il sol dell’avvenire) tourné l’été dernier.

Mais, nous assure-t-il, il y aura un Zorn IV. Car sa collaboration – et son amitié – avec le compositeur américain ne s’arrêtera pas là. On sait déjà que John Zorn fera une tournée européenne pour fêter ses 70 ans, vous pouvez être sûr que Mathieu Amalric ne sera pas loin derrière avec sa caméra.

Zorn III (2018-2022) sera présenté le 18 mars au Cinéma du Musée à 15 h.

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