Révélée aux cinéphiles il y a cinq ans grâce au film Les faux tatouages, de Pascal Plante, Rose-Marie Perreault enchaîne les projets. Dans La cordonnière, un long métrage réalisé par François Bouvier, l’actrice campe la fondatrice de l’entreprise qui sera à l’origine de la fortune de la famille Dufresne. Et trouve du même coup son premier grand rôle au grand écran. Entretien.

Rose-Marie Perreault se souvient très bien de l’endroit où elle était quand elle a eu vent qu’un projet de film inspiré de la série de romans de Pauline Gill portant sur Victoire Du Sault et ses descendants était mis en marche. C’était au Festival du film francophone d’Angoulême, où elle faisait partie de la délégation de La Bolduc, le long métrage précédent de François Bouvier, dans lequel elle incarnait la fille aînée de Mary Travers.

« Quand François m’a parlé de La cordonnière en me disant qu’il pensait à moi pour le rôle et qu’il allait m’en dire plus éventuellement, je suis tout de suite allée lire les deux premiers tomes de la série de romans, consacrés à Victoire, rappelle l’actrice au cours d’un entretien accordé à La Presse. J’ai aussi pu lire le scénario de Sylvain Guy assez rapidement. En fait, je peux dire que je vis avec ce personnage depuis 2018 ! »

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Nicolas Fontaine et Rose-Marie Perreault dans une scène de La cordonnière

Féministe avant l’heure

Dans La cordonnière, Rose-Marie Perreault se glisse dans les 20 premières années de la vie adulte d’une jeune femme avant-gardiste de la fin du XIXsiècle, bien déterminée à s’imposer dans un domaine – l’entrepreneuriat – où les femmes étaient d’emblée exclues. Au-delà de son aspect professionnel, le parcours de Victoire Du Sault fut aussi marqué par une vie amoureuse compliquée, pour laquelle cette pionnière devra porter le poids d’un secret pendant pratiquement toute son existence.

Dans le scénario que Sylvain Guy (Confessions, Mégantic) a tiré des romans de Pauline Gill, l’accent est d’ailleurs mis sur la passion que Victoire, incarnée dans son âge plus mûr par Élise Guilbault, éprouve d’abord pour Georges-Noël Dufresne (Pierre-Yves Cardinal), de 20 ans son aîné, de même que sur l’amour de raison qu’elle vivra ensuite avec Thomas (Nicolas Fontaine), fils de Georges-Noël.

« Il était inspirant pour moi de voir cette femme s’autoriser à vivre à la fois ses passions professionnelles et ses passions sentimentales, indique l’actrice. Le triangle amoureux dans lequel elle était prise l’a habitée toute sa vie, mais elle s’est permis de le vivre. J’admire comment elle a pu débroussailler des chemins interdits. Il était facile pour moi de la défendre et de l’incarner. »

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Rose-Marie Perreault voit en Victoire Du Sault une féministe avant l’heure.

Celle à qui l’on confie souvent des rôles de femmes ayant vécu dans le passé, de Nuit blanche à Germinal en passant par La Bolduc et Crépuscule pour un tueur, n’hésite pas à voir en Victoire Du Sault une féministe avant l’heure. Cette dernière a en effet dû s’affirmer à une époque où la simple féminisation du mot cordonnier provoquait l’hilarité générale. Une femme exerçant un métier d’homme ? Allons donc !

« Même si le cadre est d’époque, l’histoire de Victoire est une histoire de désir, d’ambition, et se révèle très moderne, souligne son interprète. Cette femme est en révolte et ne comprend pas pourquoi on lui refuse toujours tout, alors qu’à ses yeux, le chemin est si clairement tracé. Georges-Noël est le seul à croire en son talent et à la traiter comme une égale, d’où son attirance. C’est un amour très délicat et tragique à la fois. »

Cette pièce, ce film…

Rose-Marie Perreault a grandi à Trois-Rivières auprès de parents psychologues (« Je tiens d’eux la volonté de comprendre l’autre sans juger », dit-elle) pour qui l’accès à la culture est important. Des films comme Cinéma Paradiso (Giuseppe Tornatore) ou le diptyque La gloire de mon père/Le château de ma mère (Yves Robert), qu’elle a vus dès l’enfance avec eux, font en outre partie des classiques de la famille. L’actrice attribue cependant sa vocation à deux moments charnières très précis.

« J’avais 12 ans quand mes parents m’ont emmenée à la salle J.-Antonio-Thompson pour voir Fragments de mensonges inutiles, une pièce de Michel Tremblay. J’en suis ressortie complètement bouleversée et je me suis alors rendu compte à quel point le métier de comédien pouvait être fort. L’autre éveil est arrivé quand j’ai vu J’ai tué ma mère, de Xavier Dolan. C’est ce qui m’a poussée à aller étudier en cinéma au cégep, et ensuite à l’Université Concordia. Au même moment, j’ai décroché un rôle dans Les démons [Philippe Lesage] grâce à un casting sauvage. »

Après cette première expérience au cinéma, une agente a pris Rose-Marie Perreault sous son aile et a pu lui obtenir des invitations pour passer des auditions. La jeune actrice s’est retrouvée sur le plateau de 30 vies, où elle a pu apprendre rapidement les rudiments du métier. À cette époque, le réalisateur Jean-Claude Lord et Julie Perreault, vedette de la série, furent de très bon conseil. Ensuite vint Ruptures, une série dont la réalisation était assurée par François Bouvier, celui-là même qui la dirigera plus tard au cinéma dans La Bolduc et La cordonnière.

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Rose-Marie Perreault dans une scène de La cordonnière

« Ça m’a aidée à me bâtir une confiance, confie-t-elle. Cela dit, le doute est aussi un excellent moteur parce qu’il nous force à travailler encore plus fort. Au début, j’étais dans l’inconnu. L’idée d’être tributaire du désir des autres amène cette image – terrifiante – de ce que peut être une actrice qui attend, assise près d’un téléphone qui ne sonnera peut-être jamais. Aujourd’hui, je me fais davantage confiance, mais j’aime quand même cette zone d’incertitude parce qu’elle me pousse à aller toujours plus loin. »

À cet égard, Rose-Marie Perreault ne cache pas vouloir, comme plusieurs artistes de sa génération, prendre son destin en main en développant son côté créatif.

« Je vois tout ça comme un beau grand terrain de jeu, ajoute-t-elle. J’ai envie d’écrire, peut-être de réaliser un jour, de participer à la création de projets initiés par d’autres aussi. Avec toutes les possibilités qui s’offrent maintenant à nous, on s’invente un métier, en fait. On sent présentement une grande effervescence dans le monde de la création ! »

La cordonnière prendra l’affiche le 17 mars.