Après des années de feinte ignorance et de campagnes malhabiles, les constructeurs automobiles reconnaissent maintenant le pouvoir de la femme quand vient le temps de choisir un véhicule. On a même appelé les plus grands designers en renfort...

Les conductrices sont dans la ligne de mire des constructeurs. Un signe: en France, Nissan a lancé le printemps dernier une quatrième série limitée de sa Micra signée par la créatrice Lolita Lempicka. Le duo commercial a proposé une élégante robe aux reflets cerise noire et un habitacle lounge avec sellerie capitonnée de cuir beige. Tapissé de motifs de feuille de lierre, emblème de la griffe parisienne, le véhicule est truffé d'innovations qui promettent d'adoucir l'expérience de conduite, du dispositif d'aide au stationnement en parallèle qui mesure l'espace disponible avec un radar de recul, en passant par le bloque-sac qui prévient les renversements malencontreux en cas des virages abrupts.

On retrouve cette même volonté de féminisation ailleurs dans le marché européen, chez Mini, Fiat ou Citroën.

Après avoir été habillée par Yves Saint Laurent, Kenzo ou la styliste anglaise Orla Kiely, la Citroën DS3 est revenue à la charge en 2011 avec de nouveaux coloris et décorations adhésives qui se déclinaient littéralement en un million de possibilités sur les coques de rétroviseurs, les chapeaux de roue ou le pommeau de levier de vitesse.

Un vent de changement

Les publicités automobiles aussi changent et s'adressent maintenant à la conductrice. «La femme prenait déjà le volant dans les pubs des années 80 et 90, mais on voyait toujours un homme au second plan, explique Luc Dupont, professeur au département de communication de l'Université d'Ottawa. Il restait un cordon ombilical.»

Il a fallu attendre quelques années encore avant que la conductrice tienne la vedette de certaines pubs automobiles, une véritable révolution dans une industrie qui suinte la testostérone et joue au macho en utilisant la femme comme faire-valoir, juchée sur des échasses qui rendraient périlleuse toute tentative de conduite automobile.

«L'industrie opère un changement majeur, lentement mais sûrement, indique Luc Dupont. On assiste à la revanche de la voiture au féminin, un effet boomerang, comme si les femmes se reprenaient pour toutes ces années où elles ont été boudées par l'industrie. Elles veulent prouver que les voitures sont aussi pour elles. Comme les hommes, elles méritent de conduire les plus belles, les plus spacieuses, les plus technologiques.»

 

Photo fournie par Nissan

En France, Nissan a lancé le printemps dernier une quatrième série limitée de sa Micra signée par la créatrice Lolita Lempicka.

Conçue pour elle et assez fort... pour elle!

Alors que le blanc et le gris remportaient toujours la palme des couleurs les plus populaires dans le monde sur quatre roues en 2011, selon le rapport DuPont Automotive Color Popularity, les femmes ne détestent pas les coloris audacieux. À preuve, lancée en mars 2010, la Citroën DS3 franchissait en juin dernier le chiffre symbolique des 100 000 commandes, tout marchés confondus.

Si les hommes rêvent d'une voiture puissante, les femmes sont plus nuancées, voire paradoxales. Elles veulent une automobile conviviale, mais performante. Elles veulent une voiture stylisée, mais pratique. Pour combler cette nouvelle cible, les constructeurs automobiles ne devront rien laisser au hasard. Le sens du détail et de la finition sépareront les modèles gagnants des échecs commerciaux.

La satisfaction de ces exigences élevées présente un défi de taille pour les constructeurs automobiles, qui doivent démonter leur compréhension de la cohorte des femmes sans pour autant aliéner les clients masculins. Une fois qu'un modèle automobile est étiqueté féminin, le marché masculin est automatiquement sacrifié, une conséquence que plusieurs acteurs de l'industrie ne peuvent se permettre.

«Les constructeurs ne pourront plus miser sur l'innovation pour grandir, affirme Gaëtan Namouric, directeur de la création chez l'agence québécoise Bleublancrouge, qui a travaillé pour les comptes de BMW Mini et Toyota. Quelles seront les promesses des marques dans l'avenir? Je crois que l'automobile devra se réinventer. Faire rêver. Homme ou femme, les consommateurs n'attendent que ça.»

Photo fournie par Citroën

La Citroën DS3 a été habillée par la styliste anglaise Orla Kiely.

La conductrice sur le divan du psy

Pendant six ans, Jean-Marc Antoine Bailet, docteur français en psychologie du conducteur automobile, a étudié les comportements routiers. Les conclusions de ses recherches sont présentées dans le livre Le volant rend-il fou?. Selon l'auteur et psychologue, la conduite automobile et la relation identitaire du conducteur avec son véhicule varient en fonction du sexe, de l'âge et de la position sociale.

Plus confiants, les hommes surestiment leurs capacités et sous-estiment les dangers de la route. Ils considèrent également la voiture comme une extension de leur personnalité, voire de leur virilité.

Est-ce que les femmes, plus prudentes, envisagent la voiture comme un objet purement utilitaire? Pas selon le professeur du département de communication de l'Université d'Ottawa, Luc Dupont: «Les associations ne sont pas les mêmes, mais la voiture est aussi un prolongement de la personnalité féminine. Chez l'homme, on parle de puissance, de masculinité, de pouvoir. Chez la femme, on évoque plutôt la réussite professionnelle et sociale, la jeunesse, le sens du style et de la beauté. La voiture n'est pas simplement un moyen pour passer du point A au point B. Les composantes émotives et identitaires surclassent le rationnel.»

Photo fournie par Citroën

Est-ce que les femmes, plus prudentes que les hommes, envisagent la voiture comme un objet purement utilitaire? Certainement pas!